Suzanne Myre : Contes de la folie ordinaire
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Suzanne Myre : Contes de la folie ordinaire

Suzanne Myre nous revient avec Le Peignoir, florilège de nouvelles à l’humour acéré, histoire de croquer à belles dents dans la folie d’aujourd’hui.

Êtes-vous vraiment bien dans votre peau, votre couple, votre vie? Ne répondez pas, la société l’a déjà fait pour vous: non, ce n’est pas le bonheur, il vous manque un petit coup de pouce pour rayonner franchement. En quelques paiements faciles, votre corps, vos amours et votre enfant intérieur respireront l’air d’Éden. Or, avant de signer le chèque, peut-être vous faut-il un peu de temps. Dans ce cas, pourquoi ne pas flâner entre les pages du dernier Suzanne Myre, Le Peignoir, où vous attendent six histoires qui, à l’aide d’un sens aigu de la dérision, vous renverront probablement à la vôtre et aux "vraies affaires".

Lauréate du prix Adrienne-Choquette 2004 pour Nouvelles d’autres mères et plusieurs fois finaliste pour le Prix des libraires, l’auteure pratique depuis quelques années un humour d’assaut, tricotant ses nouvelles comme de petites laines qui piquent sans attendre, protégeant le lecteur contre les courants d’air de la bêtise ambiante. Si elles provoquent autant la démangeaison, c’est parce que ces nouvelles apparaissent comme de petits dispositifs à tête chercheuse traquant nos travers et nos habitudes, cette généreuse part de ridicule pulsant au cœur de l’intime au quotidien.

Dans Gingembre salvateur, le conjoint de la narratrice porte "Man of Passion", un parfum qui, selon cette dernière, s’avère "un produit qui descend tout droit de la lignée des décapants à meubles"; elle se laisse donc secrètement charmer au travail par un préposé à l’entretien fleurant bon le gingembre. Une femme souffrant d’un acouphène coriace prend "la fuite rurale" afin d’avoir la paix dans Le moustique erre; elle apprendra que le silence et la solitude sont des espèces en voie de disparition. Une massothérapeute nous en révèle une se proclamant anti-télé, prêchant pour l’alimentation ultra-grano tout en plongeant en secret dans sa boîte à images couleur armée d’un bol de pop-corn rose. La narratrice de Tendres Tendons, pour sa part, peste contre la bicyclette stationnaire de son copain avant de s’y mesurer et de subir les répercussions. Nom d’une Bobinette, texte le plus faible du lot, ressuscite la figure paternelle de Bobino tandis que Le Peignoir, nouvelle la plus nuancée, drôle et émouvante, nous entraîne à l’Hôtel Spa Excelsueur en compagnie de Manon et Christian, couple sympathique et amoureux jusque dans leurs petites cruautés, lancées à la volée comme autant de pincées de poivre de Cayenne:

– Tu as maigri ou quoi?

– Pourquoi dis-tu ça?

– Ton nez est plus gros, on dirait.

En refermant le bouquin, plusieurs réactions surgissent en coulisses, allant de l’éloge au doute sérieux. Car en engouffrant nos folies contemporaines dans la moulinette de l’humour, l’écriture de Suzanne Myre vit dangereusement. L’humour étant presque impossible sans anecdote, les nouvelles au menu sont efficaces, travaillées, mais passé le rire et la répartie bien amenés, elles se révèlent de courte portée, des vignettes lucides qui, tout en amusant, s’évaporent.

Le Peignoir
de Suzanne Myre
Éd. Marchand de feuilles, 2005, 177 p.