Cachez-vous. Si c’est possible.
Il vient de tirer la corde, le bruit détonne. Sa tondeuse flambant neuve, " celle que tout homme devrait posséder ". The dernier modèle, vert lime, mariage parfait avec le verre à cocktail des îles. Douce concubine le lui apportera sur un plateau de plexiglas turquoise. Avec des glaçons en forme d’hibiscus. On a de la classe. Le moteur braille, crache, rugit. Vvvvvvvvrrrrrrrmmm.
Je lis, tranquille sur mon balcon. Rien.
Par-dessus la clôture, voisin de gauche du voisin de gauche éclate de rire. " Il ronronne ton moteur, mon vieux ". Pas pour longtemps. Suffit d’appuyer sur le bouton rouge " tu vois le piton, là, Robert? " et la turbine tombe en mode turbo. Faut que ça se fasse vite, la pilouse. " Me suis aussi acheté un cinéma-maison, mon vieux, tu croiras pas à ça, tu vas l’entendre jusque dans ta cave ". Comme sa femme hystérique qui crie au meurtre quand il la baise. Ha oui, ha oui, ha oui. Ostie.
Jouissance.
Un jour, j’anéantirai son engin-mangeur-de-gazon et lui ferai avaler. Moteur en action, ha oui, ha oui, ha oui. Qu’il vomisse aqua, qu’il s’électrocute, qu’il brûle. Tu finiras dans la terre, brins d’humain. Que femme parfaite en tablier rose à pois bleus – l’équilibre des sexes ça commence dans les couleurs – découvre ses restes et les fasse chauffer à " high " dans son micro-ondes converti en grille-pain. On manque d’espace, vous savez. Que son Rottweiler s’étouffe avec son os de chance, celui qui lui aurait permis de gagner à la loterie. Si seulement t’avais su.
La nuit, je planifie.
Pour leur faire comprendre. Abrutis, cinglés. Maniaques de l’aménagement paysager. Quand ce n’est pas voisin de gauche avec la tondeuse turbo, c’est voisin de droite qui branche le souffleur à feuilles ergonomique à poignée antibactérienne en plein été. Les feuilles verdissent encore dans les arbres, pauvre con. Pendant que fiston chéri rase les bégonias avec le weed-eater branché sur le 500 volts " pour le fun de voir de quoi ça l’air des fleurs pus de fleurs, chill mom. C’est concept ".
Courir et crier.
Revenir avec une scie à chaîne et effrayer les ados qui écoutent leur musique destroy à fond dans leur bagnole " montée " avec des " sub-méga-hot ". C’est ça que ça te prend, man. Renverser l’hypocondriaque d’en face qui appelle son chat aussitôt qu’il s’éloigne du perron. Minou, minou, minou. Laisse-le donc en-dedans. Il sera pas moins obèse pis les terrains sont aseptisés. Tsé.
Pleurer.
Jusqu’à ce qu’ils s’assoient pour écouter autour. Et le silence. Leur laisser les silences qu’ils ont oubliés, enfouis, cachés. Ceux qui réveillent. Qui redonnent envie de s’enlacer autour de l’autre qui dort les poings ouverts. Le silence se partage, les gens sont si radins.
Rire.
Jusqu’à l’épuisement total. D’un éclat qui fendra l’air et pénétrera dans les garages pour endormir les appareils mécaniques. Laissez-les donc se reposer. Épuisés d’emmerder les autres. Un peu de sommeil, ça ne coûte rien. Gratis, cholesterol free.
Tomber.
Sur l’asphalte. Lancer la scie en pleine rue. Un camion passe, écrase, réduit en miettes. Cric, crac, pow. Plus de moteur pour scier les arbres. Utiliserez vos doigts.
Les laisser deviner.
S’ils ne comprennent pas, je poserai une bombe sous le gravier, tout près du parc. Pour que ça explose et enterre les bruits qui attaquent. Au moins une seconde. Ne serait-ce qu’un instant.
Je ne peux pas faire ça. Enfin, pas aujourd’hui.
Demain.