Être à la fois enfant et africain est devenu, depuis quelques années, un jeu dangereux. Boucs émissaires d’une société malade, les enfants africains sont souvent vus comme la cause de grands maux qui touche ce continent. Si en occident les enfants ayant des difficultés de comportement ou un handicap sont vus comme des futures victimes sociales, il en est tout autrement en Afrique. Dans plusieurs pays subsahariens, ces enfants sont en fait des sorciers : des gens endiablés, des gens à éviter. Le droit à l’enfance, à l’éducation, voilà des concepts encore obscurs pour plusieurs peuples de ce grand continent. Être enfant, signifie être un sorcier potentiel. Voici le portrait loin d’être celui du magicien d’Oz.
L’arrivée des enfants sur le banc des accusés de sorcellerie est un phénomène relativement récent, et de plus en plus inquiétant. Cette vague d’accusation envers les enfants est une calamité dévastatrice pour la santé des pays concernés. Le Centre d’études et de formation pour le développement du Tchad (CEFOD) va même jusqu’à affirmer que ce fléau est plus alarmant que le SIDA. Pourquoi plus alarmant ? Parce que les enfants dits " sorciers " deviennent presque immanquablement tous des enfants de la rue. Des enfants soit très débrouillards, mais des enfants qui ne deviendront pas très grands. La vie de la rue est difficile. Et s’ils atteignent un âge adulte, ces enfants demeurent toujours sorciers et stigmatisés. Alarmant, parce que depuis quelques années, tel que le note l’anthropologue Filip de Boeck , l’accroissement des accusations de sorcellerie touchant la jeunesse, font en sorte que les histoires d’ " enfants- sorciers " composent une partie commensurable de la banalité du quotidien. Ce séisme mine les chances d’un avenir économique et social meilleur pour ce continent. Ce fléau est néanmoins causé par de nouvelles réalités telles la mondialisation, les nombreuses guerres fratricides et le SIDA. Faut-il aussi le mentionner, ces pratiques et ces accusations ne sont étonnament pas totalement absentes des couches sociales plus fortunées. Ainsi, le niveau d’éducation a peu d’influence sur les croyances de sorcellerie. Il arrive que des enfants issus de famille bien nanties soit amenés chez des prêtres purificateurs ou même abandonnés. Étant donné l’impossibilité de relater toutes les régions concernées par ce fléau, concentrons-nous sur la région kinoise de la République démocratique du Congo.
Les rues de Kinshasa
La très grande majorité de la population croit à la sorcellerie. Malheureusement pour les enfants perturbés ou ceux ayant des esprits rebelles, ils portent des signes soit disant précurseurs de la sorcellerie. C’est ainsi que plusieurs enfants se voient accusés. Personne, ne veux vivre avec un voisin abritant un sorcier. Cela étant, l’enfant se retrouvera abandonné à lui -même, dans les rues des grands centres urbains, tel Kinshasa.
La pratique de la sorcellerie était auparavant utilisée de manière relativement saine. À tout le moins, les adultes étaient majoritairement porteurs des marques d’accusations. Auparavant, lorsque des malheurs frappaient des familles, la situation conflictuelle créait une solidarité familiale : Ils tentaient de trouver des solutions. Maintenant, la solidarité n’existe plus. Pourquoi accuse- t on maintenant les enfants? Parce qu’ils sont devenus des fardeaux accablants. On aime mieux inventer un prétexte sorcier que de prendre en charge un enfant indésirable.
Dans notre monde occidental, les familles reconstituées sont le fruit de multiples mariages et divorces. À Kinshasa et ailleurs en Afrique, ces nouvelles familles sont le produit des décès prématurés et trop fréquents des parents. Moins de cinquante ans, voilà l’espérance de vie moyenne de la population de la République démocratique du Congo. Rares sont les enfants qui ont leurs deux parents biologiques présents. Il n’est pas occasionnel qu’un enfant, par la force des choses, se retrouve à vivre avec un beau-parent n’ayant aucun lien sanguin avec lui. Ceci arrive après le décès d’un parent biologique qui s’était remarié. Ceci étant dit, ces enfants confinés à vivre avec une famille étrangère sont souvent d’une lourdeur pécuniaire inacceptable pour le parent en charge. La traditionnelle famille élargie qui consiste à affirmer que toutes les femmes sont des mamans et que tous hommes des papas s’érode de plus en plus. La paupérisation immodérée de la population menace la sauvegarde des traditions. En effet, la population de Kinshasa, comme bien d’autres villes de la région, semble vouée à un appauvrissement continu et malsain. La déliquescence du contexte économique et social de la République démocratique du Congo est sans aucun doute directement lié avec la sorcellerie infantile. Elle est un agent de déculpabilisation pour les familles n’ayant aucun moyen matériel. Un prétexte causé par le poids financier trop lourd d’une bouche à nourrir. Ainsi, la pauvreté est un élément majeur dans l’étude des cas de sorcellerie. Les familles pauvres sont de véritables nids à jeunes sorciers.
La sorcellerie converge indéniablement sur les enfants. La journaliste européenne Aurore D’Haeyer, notamment bénévole en République démocratique du Congo, soutient que ce phénomène est dû à la fausse idée que les enfants ont un esprit débonnaire . Pourtant, les enfants n’ont jamais été aussi activement présent dans la société civile kinoise. Un des éléments majeurs de cette présence est tout assurément l’immanence des enfants soldats. Sans approfondir sur ce sujet tout de même crucial, notons que la très grande majorité de ces enfants, toujours selon D’Haeyer, finissent par se retrouver à la rue. Les autres acteurs majeurs de la jeunesse kinoise sont les orphelins. Idem pour eux, plus souvent qu’autrement c’est la rue qui les attend. Malchance pour ces petits, à Kinshasa comme regrettablement ailleurs, tous les enfants de la rue sont considérés ensorcelés, parce qu’ils sont dans la rue . De Boeck affirme qu’il y a une dizaine d’années, la présence de ces enfants se limitait aux grandes avenues près des ambassades. Plusieurs milliers d’enfants habitent maintenant les rues de tous les quartiers de Kinshasa.
Fabrication de liberté
Bien que majoritairement, les accusations de sorcellerie viennent de la part des adultes, certains enfants s’accusent eux-mêmes. La rue pour ces enfants tout de même minoritaires, est généralement synonyme de liberté et d’indépendance. Échappé ainsi au contrôle familial peut faussement ressembler à une crise d’adolescence à l’occidentale. Acteurs actifs de la société civile, les enfants, en mendiant rapporte parfois plus d’argent que les parents au foyer. " Devenir sorcier, c’est une manière de récupérer le pouvoir qu’ils ont mais que les adultes ne leur reconnaissent pas. " De Boeck y voit un conflit de génération. Le bris de la solidarité familiale, liée à la vulnérabilité financière, rend la vie du foyer parfois intolérable. Les enfants ne sentent pas la protection qui leur revient de la part de l’autorité parentale. Dans la rue des sorciers, il y a une hiérarchie. Malgré la dureté et la violence de ce mode de vie, il y existe aussi une certaine solidarité. Ils échappent aux lois de leur village et viennent rejoindre des groupes de petites solidarités économiques, aussi nommés " écurie " Ces groupes composés de jeunes représentent de véritables communautés, formés de chefs, de grands frères et de petits. Gravir les échelons de la rue, est parfois attirant pour ces enfants au système D hautement développé. Les gens ont également grandement peur des sorciers. Même si parfois ces petits Harry Potter kinois se font tabasser, ils attirent tout de même la crainte. Certains y trouvent des éléments valorisants.
La sorcellerie se transmet, selon les croyances, de personne en personne pendant la nuit, dans le " deuxième monde ". À travers les rêves, en mangeant de la nourriture ensorcelée les enfants se voit, apparemment, attraper un sort. Il existe maintes églises à caractère sorcier. Ce sont des lieux où les accusations de sorcellerie arrivent fréquemment. Ainsi, les enfants se servent de ces églises pour régler leur compte envers les adultes. En effet, lors des rencontres publiques, les jeunes voulant s’accuser de sorcellerie doivent raconter comment le tout s’est produit. Ils récitent leur aventure et accusent tel adulte de les avoir ensorcelés. Comme le souligne De Boeck, ces accusations ont de très graves effets sur l’adulte en question. Il n’est pas rare qu’il soit brûlé vif ou sauvagement battu. Ainsi, un enfant maltraité par une marâtre par exemple, peut faire en sorte d’avoir vengeance, tout en accédant à une liberté bien désirée.
Crise étiologique d’un pays malade
Sous cette crise de sorcellerie " infantile " se cache, en plus du désastre économique, une autre réalité funeste : la maladie. Les enfants sorciers ne sont pas tous des poids financiers pour leur famille. Parfois ils sont tout simplement pointés comme étant la cause d’un décès, souvent du sida ou autres maladies liées à la malnutrition. L’ampleur du fléau sidatique est probablement trop extrême pour être accepté de manière pragmatique. Ainsi, ils se servent de la sorcellerie pour admettre l’inadmissible. C’est ainsi que Nuclette , petite fille congolaise de 4 ans fut accusée d’avoir donné le sida à sa mère. Une visite chez un prédicateur par sa mère suffit pour accabler Nuclette de l’échec du mariage de sa mère et de son état sidatique. Nuclette à tout de même eu de la chance car elle a reçu des soins, tous comme sa mère, dans une église de guérison. Ainsi, croyez le ou non, la maman de Nuclette affirme être maintenant guérie du sida. Ce genre d’histoire est grandement répandu. Les petites épaules de plusieurs enfants doivent supporter des responsabilités immenses. Suite au décès des parents, certains enfants assument sans même que personne ne les accuse, qu’ils sont devenus sorciers. C’est probablement une manière de vivre un deuil, trop difficile à accepter. Malheureusement, aussitôt qu’il y a doute de l’état de sorcier d’un enfant, la situation est souvent irréversible.
Sujet tabou et peu connu
Le sort de ces enfants-sorciers demeure encore bien caché. Une des raisons importantes de ce manque d’intérêt de la part de la communauté internationale, est le fait que la sorcellerie soit présente dans toutes les couches de la société. Ainsi, il n’est pas rare que des militaires et policiers battent des enfants dits sorciers. De plus, même les politiciens utilisent des trucs de sorcellerie pour jeter des mauvais sort à leurs rivaux politiques. En effet, peu de locaux sont là pour dénoncer ce fléau anormal. Ce qui éveille les soupçons à, c’est l’exportation par les communautés africaines, de ces pratiques dans les pays occidentaux, notamment en Angleterre. Bien sur, L’ONU surveille. ONG locales ou autres aident ces petits. Mais ce n’est qu’en Afrique et celle-ci n’intéresse pas assez de gens pour faire parler d’elle. Pendant ce temps, les enfants continuent de jouer chez le diable.