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Chronique d’une Monop : Affreuse Tondeuse

Bon, je dois ENCORE passer la tondeuse, ça pousse donc bien vite du gazon. Des mauvaises herbes, devrais-je dire. J’ai déménagé l’automne dernier, j’en suis donc à découvrir les choses qui poussent autour de ma maison. En fait, il y a à peu près de tout sauf du gazon, mais comme ça pousse, je dois couper ça au plus vite car même si rien n’est dit, je sens de la pression de la part de mes trois voisins; à bâbord, je crois qu’ils ont engagé quelqu’un pour garder leur pelouse impeccable, à tribord, ils font tout eux-mêmes et derrière, ma voisine n’a pas que le pouce vert, mais les deux mains. Je ne veux pas leur faire honte, du moins pas plus que maintenant.

On dirait que ma pelouse souffre de calvitie. Il y a un grand rond tout dégarni. Je ne sais pas pourquoi. Je lui ai pourtant fait un traitement une fois, peut-être devrais-je être un peu plus persévérante. Bon, je n’ai pas le choix, je dois m’atteler à la tâche, c’est le cas de le dire, car je n’utilise pas une, ni deux mais bien TROIS rallonges pour brancher ma tondeuse électrique! Ce sera ma deuxième fois cette année. Il fait plus chaud aujourd’hui. Comme je suis très pressée (c’est l’heure où mes filles doivent aller au lit, je dois faire vite si je veux les embrasser avant qu’elles ne s’endorment) j’enfile rapidement une paire de vieux jeans (super, je rentre encore dedans, même si ça fait 10 ans que je les ai!) Bon, je suis prête. Pas de spectateurs en vue (j’espère), allons-y!

Et c’est parti! Charmant ronron que celui de la tondeuse. Le mardi soir, c’est un peu moins pire que le samedi matin, il me semble. Je me sens presque en mission. Périlleuse. Tondre le gazon est une des corvées qui me rebute le plus. Vous n’avez pas idée. Tondeusologie 101, je l’ai abandonné. J’improvise. J’utilise la méthode GBS, Gros Bon Sens. Peut-être des experts vous diraient PBS, mais bon, je fais de mon mieux. Je fais très attention à ne pas envoyer malencontreusement l’herbe dans la cour du voisin (à Montréal, les voisins sont plutôt rapprochés). Mes voisins de gauche semblent pour le moins, particuliers (je reste polie). Ils n’aiment pas quand les gens sont stationnés devant chez eux. En fait ce qui les irrite, c’est qu’un véhicule puisse bloquer leur entrée d’un millimètre, ce n’est pas des blagues, j’ai vu la police chez eux la semaine dernière car le voisin enragé avait tordu l’essuie-glace arrière de la camionnette qui avait pris le gros risque de se garer près de son entrée. (Après on se demande pourquoi les polices d’assurance coûtent si cher!) Et vous savez quoi? Ces mêmes voisins n’ont même pas de voiture! Ce sont aussi ces mêmes voisins qui ne répondent pas à mes bonjours, qui ignorent mes enfants quand elles leur envoient la main. Ils sont âgés et malcommodes. Je ne voudrais pas les faire fâcher pour quelques brins d’herbes. Ils ne me connaissent pas encore, je dois préserver tout ce que je peux! Avance, recule, tiens le fil, attention! Il ne faudrait pas que la rallonge se loge sous la tondeuse, ça pourrait faire mal. Je me vois faire la une du Journal de Montréal. Prudence donc. Mieux vaut faucher le muguet que la rallonge!

Il fait donc bien chaud. C’est le soir. Moi, qui, il y a quelques jours à peine dormais encore sous ma couverture électrique. Bon, on change de place. La calvitie. Plein d’enfants se tiennent pas loin. J’espère juste qu’il n’y en aura pas un fasciné par les tondeuses qui viendra se planter devant moi, pire, qui viendra me poser des questions. Évitons de croiser les regards. Je suis pressée de toute façon. Si j’avais un tracteur à gazon, je risquerais d’écoper d’une contravention pour excès de vitesse. À pied, je suis correcte.

Tiens, de gros champignons. Tiens, plus de champignons! Ah zut, le fil de la rallonge n’a pas suivi. Pas grave, on rebranche! Bon, allons-y, en vitesse, on envoie tout l’herbe dans l’entrée de garage, je peux, c’est CHEZ NOUS! Non, mais il fait vraiment chaud aujourd’hui. T’es pas mal bonne Marie-Hélène, t’aimes pas ça, mais tu le fais! T’es bonne! Continue, il ne te reste que derrière la maison. Hon, le voisin grincheux écoute la télé, j’espère que le bruit ne le dérangera pas trop, je n’aimerais pas trop qu’il me déteste sans même avoir eu l’occasion de me connaître . (quoi que c’est peut-être déjà fait). On rebranche le tout!

Je n’aime pas beaucoup cette pente au bout du terrain. Bah, t’es capable. C’est quoi ça? Des fleurs ou des mauvaises herbes? Pas le temps de tergiverser, on rase le tout! Et voilà! Ha, ça a l’air plus propre! La chère rallonge me donne du fil à retordre, j’ai presque fait un vol plané à cause d’elle. Courir derrière une tondeuse, est-ce considéré comme un sport extrême? Ayoye ma tête, c’est difficile de passer ça sous le balcon. Ronron Tondeuse Macaron ¯.

Je n’ai plus chaud là, je suis juste en train de fondre. Mon Dieu, ça grossit vite de la rhubarbe. Ça se coupe rapidement aussi avec une tondeuse! J’ai toujours été bonne pour ça, moi. Il m’est arrivé de tondre les fleurs de ma mère quand j’étais adolescente. Vengeance? Pas la première fois. La première fois c’était une erreur, mais j’ai tout de même éprouvé une petite satisfaction à voir des couleurs sortir du bout des hélices au lieu du gazon!

" MAMAN!!!!!!!!!!!!!! " Hum, je me demande depuis combien de minutes Clothilde m’appelle. Elle est chanceuse que la rallonge ait encore lâché! " Flocon a quoi dans les oreilles? " " De la pâte à dent. Je l’ai lavé mais ça sent encore la pâte à dent et je ne peux pas dormir sans Flocon . " " Ok, mets-le sur le bord de l’évier, dis-je haletante, Maman va le nettoyer quand elle va rentrer, va au lit maintenant s’il te plaît ". J’en profite pour désentortiller la corde autour d’un petit arbuste que je trouve bien mal placé et avouons-le, plutôt laid. Et c’est repart. La @(*&$)(!*(?!* de rallonge. Et c’est reparti!

Je " conduis " ma tondeuse de la main gauche et dresse le serpent orange de la main droite. Je file à vive allure, si bien que je me vois maintenant dans une contrée lointaine, chevauchant un superbe étalon, jouant de mon lasso au soleil couchant. Haaaaaahhhhhhhh! La pente au bout du terrain. Woah, woah! Ok, tout est sous contrôle, même pas de voisin à l’horizon. Tu l’as fait l’autre fois, ça ne devrait qu’aller mieux cette fois-ci. Faut bien que je m’encourage. Tout va bien. Grrr… Maudite corde de c…

Je vois des étoiles. il ne fait pas nuit du tout. Je pense que je vais devrais peut-être ralentir la cadence un peu (ou me décider à enlever mon polar) Est-ce dangereux de faire une crise cardiaque à 36 ans? Je n’ai pas le temps de me répondre. CALVAIRE!!! ENCORE ARRÊTÉE. " Quoi?? Ça s’en vient beau?? Merci ". Le couple d’expert d’à côté me regarde aller, en plein ce dont j’avais besoin. Au moins si je m’effondre de tout mon long, ils pourront appeler 911, peut-être que je n’aurai pas trop de dommage au cerveau si je ne gis pas là trop longtemps. C’est rassurant. De toute façon j’ai presque fini. Juste un p’tit peu encore sous le sapin, ça y’est! FINI!!! F-I- FI, N-I NI!

Quel bonheur devant le travail accompli. Faudra que je pense sérieusement à des stratégies pour être encore plus efficace, et/ou pour rendre la tâche plus intéressante. Je devrais essayer de battre mon propre record de vitesse d’une fois à l’autre. M’habiller plus légèrement, j’avoue, serait sûrement une chose intelligente à faire aussi. Parfois, le stress altère légèrement mon jugement. Tout va si vite depuis quelques temps. Porter un casque peut-être? Des bouchons dans les oreilles? Tiens, c’est pas bête ça! Mais faudrait les enlever rapidement, pour aller répondre rapidement au téléphone qui sooonnnnne!!!!!. Je monte les escaliers à grandes enjambées. Il est OÙ le téléphone? Vite, vite. J’y vais au son. Vite avant que le répondeur ne prenne le relais. Pas dans ma chambre, ni dans la salle de bain. La chambre des filles? Heureusement elles dorment profondément. Non, pas Clothilde. Flocon n’a pas encore été " dédentifricé ". J’ai enfin trouvé le téléphone. Je signe à Clothilde d’arrêter de parler en lui pointant le téléphone. C’est fou ce qu’on peut communiquer en peu de secondes sans dire un mot. C’est fou ce que je peux décoder aussi comme déception sur son petit visage. Toujours dans un langage signé, je réussis à lui faire comprendre qu’après mon appel je m’occuperai de Flocon. Un doux sourire de détente s’installe et je sais qu’elle dormira dans quelques minutes.

P.S. : Deux " tontes " plus tard, ma tondeuse n’a plus que trois roues! Il y a en une qui s’est mise à osciller, je n’allais pas si rapidement que ça, je le jure! C’est pitoyable. Mais ça va beaucoup mieux pour contourner les clôtures avec une roue en moins!