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Dans le fond de la 7 vers Place d’Youville

Des filles qui sont débarquées dans ma vie avec leur brosse à dent, leurs petites culottes et leur parfum du Body Shop. Des filles avec qui j’ai appris à dire Je t’aime jusqu’à m’en persuader moi-même. Des filles qui relèvent les fesses quand je leur mignote le clitoris. Des filles bien élevées qui me trouvent pervers et dépravé. Des filles à qui je n’avoue jamais que c’est comme d’habitude, et qui m’en sont reconnaissantes. Des filles que je devrais traiter de putes, juste pour voir. Des filles qui trouvent le temps long quand je ne suis pas là pour les insulter. Qui ne parlent jamais de moi à leurs parents. Qui me jouent dans les cheveux. Qui pilent tout le temps sur la queue de mon chat.

Des filles à qui je couperais volontiers une oreille. Qui veulent à tout prix laver ma vaisselle sale. Des filles trempées de sueur salée, perdues dans mes draps. Des filles avec des jolis prénoms composés que leurs amies appellent toutes Marie. Des filles bleues sous l’eau gelée du Saint-Laurent. Des filles par terre dans des flaques de vomi, ivres et sans dignité. Des filles prises en photo sur le siège des toilettes. Des filles à qui je dis que j’aime les hommes pour m’en débarrasser.

Des filles à moitié brûlées au lighter dans mes souvenirs mal aérés. Des filles trop maigres qui tournent les yeux au moment de jouir. D’autres à qui on croirait que je leur plante un poignard entre les omoplates. Des filles qui ne comprennent rien à ce que je suis. D’autres qui certainement comprennent trop. Des filles que j’emprisonne dans ma cervelle détraquée. Que je mâche avec des mots de toutes les couleurs. Des filles beaucoup trop belles pour moi, qui me tolèrent peut-être entre leurs cuisses par pitié. Des filles menottées au tuyau du lavabo, mordues jusqu’au sang, qui me crient d’aller voir un psy en se défendant comme elles peuvent. Qui secouent la tête en me disant Charles je t’emmerde. Des filles auxquelles je lèche les larmes qui leur barbouillent les joues.

Parce que je fonce dans la vie, moi, que je ne sais pas avancer autrement et que c’est une manière de fuir, il paraît.

Des filles mortes dans le fond de la 7 vers Place d’Youville. Des filles au corps d’argile, pour les artistes, des filles à pétrir, à modeler, à sculpter. Des filles seules, qui viennent me voir pour tromper l’ennui. Des filles modernes, des filles très "début de siècle", qui s’abandonnent au premier homme leur accordant quelque attention. Qui cherchent l’amour en ouvrant grand, en se laissant baiser dans les chiottes d’un bar, sur un lit qu’elles voient pour la première fois, comme ça, sans se poser de questions. Qui croient qu’il leur tombera dessus, l’amour. Des filles dont le cour est ailleurs, comme resté collé sur un trip d’acide, qui enlèvent leurs vêtements en silence, dans le noir, vaguement distraites par les courses prévues pour le lendemain. Des filles qui repartent à l’aube, sans doute un peu déçues, et referment doucement la porte derrière elles, comme sur un rêve en moins. Qui repartent sans rien oublier, rien où je puisse fourrer mon nez en me réveillant, rempli de la tristesse sans nom des histoires éphémères.