Un homme marche dans la rue déserte. Il y a des ruines, des débris un peu partout.
C’est la nuit, la lune est ronde. On dirait un oeil qui le regarde.
Un soldat? Difficile à dire.
Voyons voir ce qu’il va faire.
Il entre dans une maison aux briques rouges… ah?… On aurait cru qu’il serait entré dans une autre que celle-là. L’impulsion du moment probablement. Il monte lentement l’escalier jusqu’au quatrième et se retrouve devant une porte. C’est le 406. Il regarde sa montre, il est 2:11. Il frappe.
Valière de Lyra vient ouvrir. Elle porte une robe noire qui s’arrête à mi-cuisse. Elle ne l’attendait pas, mais elle n’est pas surprise de le voir. Elle va s’asseoir à la table et il la suit.
Que va-t-il se passer?
Ils sont tous les deux assis et se regardent. Quelques mots sortent de leur bouche, des mots sans importance. La fenêtre ouverte laisse entrer une brise légère.
L’homme met la main dans sa poche et sort deux roches qu’il dépose sur la table. On voit à son attitude qu’il a du respect pour ces choses. Dans l’univers qui l’entoure, où tout est transformé, remodelé, il croit que les pierres sont le dernier refuge. Même s’il n’y a pas accès, il sait que leur espace intérieur est intact, peut-être depuis des millions d’années.
Ils regardent les roches. L’homme en reprend une et Valière de Lyra prend l’autre. Mais, à cet instant, une pensée aberrante traverse l’esprit de l’homme et il échappe la roche qui tombe entre ses pieds à elle. Il regarde Valière de Lyra, mais elle détourne la tête. Elle prend une cigarette, l’allume et pose les yeux sur un dessin accroché au mur. Il montre un ange qui fume un cigare sur son nuage.
L’homme hésite. Après un moment, il se penche pour ramasser la roche. Il la saisit entre ses doigts et, en se relevant, il effleure le genou de Valière de Lyra. Le temps d’un éclair, il voit qu’elle est nue sous sa robe.
L’homme se ravise.
Il se penche à nouveau, replace la roche au même endroit. Il s’agenouille et pose la main sur le pied de Valière de Lyra. Comme s’il vérifiait quelque chose, il le palpe. Sa main contourne la cheville et monte sur le mollet.
Valière de Lyra est immobile. Elle tient sa cigarette tout près de son oreille et entend les minuscules crépitements du tabac qui brûle. La fumée s’élève lentement en formant une colonne blanche. Les molécules s’éparpillent au plafond, deviennent invisibles. Une sorte de léthargie s’est emparée d’elle. On pourrait penser qu’elle est indifférente à ce qui se passe, elle-même se plaît à le croire.
Mais quand l’homme dépose la joue sur l’intérieur de sa cuisse, un léger papillotement vient faire ciller ses yeux. Même si l’homme avait regardé son visage à cet instant, il n’aurait pas vu ce mouvement tant il était imperceptible. Puis, au moment où les lèvres de l’homme se posent sur sa peau et que son autre main soulève sa robe, la bouche de Valière de Lyra s’entrouvre légèrement et ses paupières se ferment.
À cet instant précis sur la planète Mercure, se produit une compression géologique majeure, entraînant une fulgurante explosion souterraine. Le choc provoque un effondrement gigantesque, propulsant dans l’atmosphère un nuage de particules et de gaz phosphorescent. Sur une longueur de plusieurs kilomètres, l’écorce de la planète se fissure et une immense crevasse se forme au ralenti. Tranquillement, le nuage s’estompe et, de chaque côté du gouffre, les falaises se découpent, laissant voir un précipice sans fond.
Évidemment, Mercure est à des millions de kilomètres de la terre et, de tout ceci, ni l’homme, ni Valière de Lyra ne sentent quoi que ce soit. Non, rien n’est perturbé dans ce qui se passe ici. Les gestes se suivent, s’enchaînent les uns aux autres comme dans une chorégraphie. L’homme approche la tête et Valière de Lyra écarte les cuisses pour s’offrir. Il avance les lèvres, goûte sa vulve.
Valière de Lyra a laissé tomber la cigarette dans le cendrier et sa main s’est refermée sur le bord de la table. Elle se raidit, arque le dos. Ses yeux sont ouverts, elle regarde. L’homme est prostré entre ses jambes, il semble murmurer en silence, on dirait qu’il prie. Valière de Lyra écarte un peu plus les cuisses et lève sa robe pour mieux voir. L’homme fait lentement glisser la langue sur ses lèvres, sa tête monte et descend. Il a les yeux fermés. Elle a déjà vu cette expression quelque part, cet air de sollicitude, d’abnégation, elle ferme les yeux, tente de se rappeler…
Le mâle est étendu sur une butte, entouré de fougères et d’arbustes. En contrebas, une clairière, plus loin, la savane. Tapi dans l’herbe haute, il observe attentivement quelque chose qui se déroule sous ses yeux. Une lionne lèche ses nouveau-nés qui la tètent. Mais elle doit partir, elle doit aller chasser. La voilà qui s’éloigne prudemment, hésite, retourne la tête pour jeter un coup d’oeil… Ça y est, elle est disparue derrière une broussaille. Le pelage ocre, la crinière foncée, il se lève lentement sur ses pattes puissantes. Il descend sans faire de bruit et voit les deux lionceaux abandonnés. Il s’approche et en prend un dans sa gueule, s’éloigne et plonge ses crocs dans le corps frêle. Le lionceau meurt sur le coup et tombe sur le sol. Il va vers l’autre, le saisit et le tue à son tour. Il reste là un instant, puis quitte les lieux.
Valière de Lyra ouvre les yeux, voit l’homme entre ses cuisses. Dans un geste autoritaire, elle agrippe sa tête par les cheveux et la repousse violemment. L’homme grimace, porte une main à sa tête. Il tente de se dégager, mais elle le tient fermement. Puis, comme si c’était une chose, un objet à sa disposition, elle guide à nouveau la tête de l’homme vers son sexe, mais juste au moment où il tend les lèvres pour la toucher, elle serre son emprise et lui redresse la tête d’un coup sec. Elle plonge son regard dans le sien. Pendant plusieurs secondes, elle examine, scrute son visage. Puis, elle avance les lèvres et forme un O avec sa bouche. Elle hoche la tête, lui fait un signe impératif du menton. L’homme fixe Valière de Lyra, demeure impassible un instant, puis, docilement, arrondit les lèvres. Il reste immobile avec cette expression figée, comme s’il s’apprêtait à souffler une chandelle. En manoeuvrant avec une extrême lenteur, elle dirige ensuite la tête de l’homme entre ses cuisses. Elle arrime solidement cette bouche, cet anneau de chair à son clitoris, comme si elle le capsulait.
Soudain, un obus éclate au loin, puis un deuxième, près de l’immeuble. Les détonations font trembler les murs et une odeur de soufre se glisse dans la pièce.
Les lèvres de l’homme l’encerclent fermement, il fait le vide dans sa bouche et se met à donner de petits coups de langue furtifs. La succion et les effleurements ont pour effet de faire gonfler le petit organe. Une des mains de l’homme se glisse sous ses fesses et plante ses ongles dans la chair. Valière de Lyra écarte les cuisses au maximum, au point d’avoir mal, empoigne la chaise, bascule la tête. Comme s’il se livrait à un duel d’escrime, l’homme agite la langue dans tous les sens, la surprenant avec des manoeuvres inattendues, la mystifiant par des mouvements incompréhensibles. Elle suffoque, se sent prise en otage.
Au moment où il entre l’index en elle, un puissant courant électrique parcourt l’épine dorsale de Valière de Lyra. Une chaleur qui semble venir du tréfonds de la terre s’irradie en elle, elle se met à tressaillir. Sa main frappe le cendrier qui tombe sur le plancher et elle repousse la tête de l’homme.
L’homme est assis par terre et la regarde.
Sur le dessin accroché au mur, les nuages sont jaunâtres. L’ange sort un briquet, le palpe, le caresse distraitement, puis se rallume. Son visage est rond, comme celui d’un enfant. Les yeux cernés, il nous regarde d’un air absent en tenant son cigare entre ses petits doigts. Plus bas sur la terre, de minuscules silhouettes squelettiques déambulent dans les rues d’une ville ravagée. La destruction a fait son oeuvre, les maisons finissent de brûler. D’un immeuble aux briques rouges, un homme sort.
Au quatrième étage, la lumière d’une fenêtre s’éteint. La lune est encore là, au même endroit. Il regarde sa montre, il est toujours 2:11. Il se remet à marcher, on le voit qui s’éloigne. Où s’en va-t-il?
Les bras et les jambes écartés, le vieillard est étendu sur la plage. Il regarde le ciel étoilé et serre quelques cailloux dans sa main. Sa cabane est juste derrière lui, dans la brousse, il y aura vécu seul pendant plusieurs années. Le vieil homme est malade et va mourir dans quelques minutes, il a pris ce qu’il fallait. Il considère que tout ceci a suffisamment duré, qu’il est temps pour lui de cesser de vivre.
Il a connu la guerre, la violence, les combats… Il repense à sa vie, aux femmes qu’il a aimées, à celles qu’il aurait voulu aimer.
Ses rêves se confondent avec ses souvenirs.