J’ai réveillé goberge en poussant un éternuement à coucher le blé d’un champ complet. En sursautant, il a enfoncé deux griffes dans ma cuisse. J’étais bien tranquille il y a trois secondes à peine. Une fois remis de mes émotions, je remets mes pouces à l’ouvre sur ma manette de jeu vidéo. Je pourrais rester des heures comme ça…Bien assis dans mon sofa, allumer une cigarette de temps en temps, changer de jeu lorsque j’en ai envie, ignorer le téléphone. L’aiguille pivote à une vitesse pas permise. Plus je donne de temps à mon jeu vidéo, moins j’en laisse pour culpabiliser, stresser, mentir, me sauver. Décidément, les jeux vidéo sont une bonne façon de gérer le temps. D’ailleurs j’en laisse si peu pour le reste.
Aujourd’hui, j’ai passé la journée avec Garduf, le héro de mon nouveau jeu. C’est un elfe noir qui fait la loi en tentant de combattre le mal. Je lui ai acheté une épée magique superbe. Garduf pénètre courageusement dans un village en flammes. La fumée et le cri des femmes voilent le ciel. De toute façon, il est d’un gris terrible. Sans même frémir, l’elfe fait un pas. Puis un autre. Soudain, deux orques se précipitent tels des loques vers le héro. On croirait que la peau grise qui leur sert de visage a fondu. Garduf est stupéfait par le dévoilement d’un petit bout du crâne de l’un d’eux. Il brandit sont bouclier puis son épée. Esquive de justesse un coup de dague. Ils sont rapides. D’un seul élan, l’épée de l’elfe tranche légèrement la gorge des deux monstres. Des rus de sang noir se répandent sur leurs gorges. Le poison fait effet rapidement. Leurs lancées sont plus lentes et puis deviennent désespérées. L’épée de poison ne tarde pas à les achever. Ces adversaires ne sont pas de taille. Garduf jette un regard sombre sur le village pillé. On dirait qu’il est arrivé trop tard. Un miaulement lamentable vient se mêler aux bruits de la grande guerre. En fait.
Ça fait quelques minutes que j’entends ce miaulement.
Ignorer Goberge plus longtemps pourrait peut-être le vexer. S’il est capable de ressentir un tel sentiment.
-Je sais Goberge, tu as faim.
J’appuis sur " pause " en poussant un soupir. Je n’ai plus de nourriture pour Goberge. Le garde-manger est aussi vide que le frigo qui ne le serait pas moins s’il poireautait dans une vente de garage. J’enfile mon manteau de jean et quitte mon appart. C’est en descendant les escaliers que je repense à tout. J’ai donné ma démission au club vidéo sans dire adieu à personne. Ce n’est pas comme si mes collègues étaient mes amis mais je les voyais tous les jours. Et à moins de les croiser par hasard un soir sur St Denis, à la St-Jean Baptiste au parc Maisonneuve, un après midi au bureau du bien-être social, un jour d’été dans une nacelle voisine à la mienne dans la grande roue de la ronde, je ne les reverrai jamais. Je me demande aussi si je vais aller à mes cours demain matin. Ça fait trois jours que j’oublie d’y aller.
J’ai soudain assez hâte de reprendre le contrôle de Garduf. C’est dans ce village que je suis supposé retrouver l’alchimiste. Avec un peu de chance il me donnera la clef de la porte des ténèbres.
Au seuil de la porte du dépanneur, je constate une affiche m’avisant que je dois attendre le retour du caissier. J’achète un café tout près et revient m’asseoir sur le trottoir en baillant. Dix minutes ont passées depuis que je suis arrivé et toujours pas de caissier au dépanneur. Je regarde distraitement passer les oiseaux de nuit de la rue Mont-Royal. Comme c’est une parade que j’ai vue mainte fois, je ferme les yeux. Je sens tous les muscles de mon corps se décrisper. Ma tête descend lentement vers l’avant. Oh oui. Je suis fatigué. Fa-ti-gué. Fa-Sol-La-Si-DOOormir.
" Ploutch! "
Ploutch? J’ouvre mes yeux, je crois que j’ai entendu un " ploutch " très discret tout près. Je cherche je qui a bien pus faire " ploutch ". Mon regard tombe dans mon verre de café. Il y a des vagues dedans. Comme je n’ai pris que quelques gorgées je dois le verser pour constater la cause de la tempête. Une pièce d’un dollar! Déduction : On m’a pris pour un mendiant. Je n’entends plus rien. Ça aurait bien pus m’insulter ou me faire rigoler. Je sens autre chose. Une sensation nouvelle. On m’a pris pour un mendiant alors mendions!
* * *
Le verre bien en évidence devant moi. J’en arrive presque à oublier que je n’ai pas besoin de cet argent. Depuis que je fixe ma récolte, elle m’hypnotise. J’en veux plus!
" Salut! "
Je lève mes yeux abasourdis sur une jeune femme aux cheveux noirs, yeux noirs et lèvres rouges. Elle m’offre un sourire superbe. Un coin des lèvres qui monte effrontément. Je reste muet puisque je ne m’étais pas préparé à ce qu’on m’adresse la parole. En général, les gens évitent le regard des quêteurs, ils ne tentent pas d’engager la conversation. Un fait que j’ai pus confirmer depuis que je suis dans la peau d’un mendiant. Elle sort un billet de sa sacoche. Je me dis que c’est bien trop. ou que j’ai pas envie qu’une fille comme ça me donne de l’argent, de la compassion ou pire de la pitié! J’aurais bien plus envie de l’amener manger une crème glacé au chocolat. Je dois avoir une drôle de moue parce qu’elle me lance de façon amusée : " Je viens d’avoir ma paye. " Elle dépose le billet dans mon verre.
" C’est toujours comme ça le jour de paye pour moi. Je jette l’argent par les fenêtres. J’ai toujours l’impression que j’en ai plus que suffisamment pour deux semaines. Chaque fois.je me retrouve sans le sou quelques jours avant le chèque suivant. "
Mon rôle me contraint à accepter le don. J’aimerais maintenant qu’elle parte avec ses lèvres rouges. Goberge doit mourir de faim. Garduf doit avoir soif de sang d’orque. Je pense plutôt que j’en ai assez d’être un mendiant.
" J’attend quelqu’un ici. "
Elle s’assoit. Elle me regarde.
" Qu’est qui t’es arrivé au juste? J’veux dire.Pourquoi tu es dans la rue? "
Je me débrouille pour lui faire avaler que je suis non seulement mendiant mais aussi muet. Elle me regarde et sourit.
" Au moins, ça t’empêche de me raconter des salades! "
* * *