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La muse amusée au musée

Il y a longtemps que j’attendais cette journée. Une discussion sur l’art m’avait laissé entrevoir le plaisir que j’aurais à visiter un musée d’art en ta compagnie. Ta passion, la lumière qui brille dans tes yeux quand tu parles de ce qui t’allume, la grâce dans les gestes amples de tes bras, tout cela me ravissait et je me délectais d’avance à l’idée de partager tes émois, tes transports, d’y mêler les miens, de remonter l’écheveau des mots jusqu’à l’émotion qu’ils décrivent, pour ressentir et vibrer, ensemble.

C’était une journée d’automne où l’on anticipe la morsure du froid naissant dans le vent, mais où le soleil est encore suffisamment puissant pour nous permettre de l’accueillir sans broncher, de rechercher même son contact revivifiant, qui fouette et réveille les sens. Une journée lumineuse où tu es apparue comme un coup de vent, pleine d’énergie, vêtue de noir, avec un éclair de soie orangé au cou. Un court instant de proximité et de chaleur, ma joue sur ta joue douce, le nez se grisant trop brièvement de ton parfum capiteux, et te voilà gravissant deux par deux les marches qui mènent aux portes du musée.

Dès que nous pénétrâmes dans la première salle, le rythme a changé, le temps s’est suspendu, le monde extérieur a cessé d’exister. Il n’y avait plus que le plaisir d’être avec toi, de vagabonder de toile en toile, en attente du coup de coeur. Et quand celui-ci survenait, – et il ne manquait pas de survenir – nous prenions le temps de trouver les mots, de nommer l’émoi, lui permettions de s’étaler, de se prélasser dans l’espace qui se tissait entre nous, nous y apportions toutes les nuances qu’il fallait, jusqu’à ce que l’émotion, entièrement dite, s’évanouisse comme elle était apparue. Nous utilisions la toile, élan de l’artiste figé hors du temps, pour nous rejoindre, avec une infinie délicatesse, dans le présent de l’instant.

Je me souviens de la tristesse pesante que tu voyais dans les longs visages bleutés de ces femmes de Modigliani, de la mélancolie qui s’empara de toi sans que tu puisses la nommer et qui me donnait le goût de te bercer tendrement. Il y a eu notre fou rire incontrôlable devant la mine penaude des hommes gris en complets, de ce peintre dont j’oublie le nom. J’ai encore à l’esprit la beauté sensuelle de ces nus de Picasso, et surtout le souvenir de ton souffle dans mon cou et de tes mains sur moi pendant que je te décrivais à voix basse comment je voyais, dans ces quelques traits emportés, un élan de désir viril, une promesse de caresses audacieuses, une expression libidineuse sans masque.

Et tout au long de ce voyage qui nous menait de salle en salle, de tableau en tableau, ta main sur mon bras, mes doigts dans ton cou, ta hanche qui frôlait la mienne, mes lèvres sur ta joue, ta chaleur si près quand je te chuchotais à l’oreille. Ce va-et-vient, ces mille et un rapprochements suivis de mille et une séparations tissaient entre nous des liens vibrants qui nous unissaient, nous gardaient en contact, même quand nous étions à des mètres l’un de l’autre.

Et puis, tout à coup, nous nous sommes retrouvés dans le hall. Nous avions tout vu, la visite était terminée. Il était tellement impensable que nous nous quittions à ce moment-là, alors que nous étions si bien accordés l’un à l’autre, que nous n’eûmes rien à dire. Un bref regard, je te pris par la main et nous sortîmes tout en poursuivant une discussion exaltée sur le dernier Manet que nous venions de voir. À quelques pas de là, un grand hôtel où nous sommes entrés sans interrompre notre discussion. Au comptoir, tu parlais sans répit pendant que je réglais les détails. Ton débit s’était accéléré, tes mains s’étaient animées, presque frénétiques et me touchaient sans cesse, très brièvement, comme si tu craignais de recevoir un choc, tout en étant incapable de t’éloigner. Puis dans l’ascenseur, un moment de solitude. Tu t’es blottie dans mes bras avec tant de chaleur et d’abandon que je m’immobilisai dans l’instant. Je me sentais fondre, couler, descendre dans mes jambes et dans mon ventre. La vague de nos désirs, libérée par le contact de nos corps enlacés, balayait, calme et puissante, toute l’agitation de la conversation. Nos corps étaient immobiles. Seules nos respirations, presque haletantes, trahissaient notre trouble. Il nous fut difficile de défaire notre étreinte pour sortir de l’ascenseur et trouver la chambre.

Le temps de prendre nos aises, d’explorer les lieux, sans nous quitter un instant des yeux, on sonnait à la porte. J’avais commandé du champagne, et des bleuets enrobés de chocolat. Tu as retiré ton chandail. Je revois la mince bretelle qui retenait ton corsage, le tracé admirable de ta clavicule, la grâce de ton cou. J’ai versé le champagne en observant que mes mains tremblaient. Je me suis tourné vers toi pour te donner ta flûte, tu portais un bleuet à ma bouche. Mes lèvres s’en sont saisi. Ma main a arrêté ta main qui allait se retirer. J’embrassai le bout de tes doigts pendant que le bleuet éclatait sur ma langue, libérant son jus frais qui mêlait son acidité à l’onctuosité du chocolat qui fondait déjà. Quel délice.

Nous nous sommes assis au bord du lit. Tu sirotais ton champagne, pendant que je me délectais de tes doigts, de ta main, de la chair blanche de ton avant-bras, m’attardant au creux de ton coude, m’émerveillant de la douceur de ton bras, remontant jusqu’à l’épaule, glissant vers ton cou, m’enivrant de ton parfum.

J’ai saisi deux bleuets que j’ai approchés de tes lèvres. Tu as entr’ouvert la bouche, dans l’attente de la friandise, et je me trouvai ému devant tant de candeur, de beauté, d’abandon dans ces lèvres offertes, un moment de ravissement éternel. Tu t’es ensuite emparée des chocolats que tu as dégustés goulûment et je ne pus résister à l’élan de t’embrasser férocement, te renversant sur le lit, dégustant, moi aussi, le bleuet et le chocolat sur ta langue. Le sucré, la douceur de ta bouche, la chaleur de ton corps, ton parfum dans mes narines, tous mes sens se confondaient de plaisir. Je te voulais, mais j’étais au-delà du désir. Je ne pensais plus, ma peau était en feu. J’ai déboutonné ma chemise maladroitement, avec trop d’empressement. J’ai relevé la tête et j’ai vu que tu avais découvert ta poitrine et je m’immobilisai soudainement, comme frappé de fascination en voyant les fraises de tes mamelons ainsi offerts. Mon empressement devint une sorte de vénération qui me faisait m’approcher lentement, explorer tes seins doucement du bout des doigts comme si j’étais intimidé.

La douceur, la texture de ta peau était envoûtante. Je m’y perdis, je m’y abîmai sans retour. Ma timidité s’estompait. Je te voulais toute, mes mains s’égaraient, se promenaient, exploraient, ton dos, ta nuque, tes bras. Ma bouche, ma langue s’affairaient avec la même avidité, sur tes seins, ton cou, ton ventre. La frénésie du désir fou me reprenait progressivement et je me mis à détacher tes pantalons avec maladresse.

Tu m’as repoussé d’un geste brusque, prenant les commandes, m’imposant de me laisser faire et c’est toi qui défis mes pantalons pour les laisser tomber, dévoilant mon slip tendu comme une tente. Puis, après m’avoir poussé à m’asseoir au bord du lit et tu te mis à abaisser tes pantalons en te trémoussant les fesses sous mon nez. Je devenais fou, cherchant ta peau de mes mains et de mes lèvres, avec un appétit presque animal. Ensuite, alors que tu descendais ton vêtement sur tes cuisses, d’un geste brusque qui me surprit, tu libéras ma queue qui se dressa fièrement à l’air libre. En te penchant pour libérer tes chevilles, tu lui fis je ne sais trop quelle caresse, de ta langue, de ta bouche, de ta joue, que j’exhalai un râle de surprise et de plaisir. Puis, tu te redressas, me regardas droit dans les yeux, et tu m’enfourchas.

Pour moi, ce fut comme si mon bateau arrivait au port. Je ne cherchais plus ton corps, il était là entre mes bras. Je ne te voulais plus, je me délectais dans le fait de t’avoir, les yeux dans les yeux, les mains sur la peau, les lèvres sur les lèvres, mon sexe dans le tien. Le temps s’arrêta et nous étions suspendus à sa marge. Nous étions dans la même barque lancée à la dérive du plaisir sourd qui croissait dans nos ventres. Un rythme envoûtant s’est installé progressivement dans nos corps. Je le ressentis d’abord comme une vibration autour de mon pénis. Je ne savais trop si cela provenait de toi ou de moi. Comme si nos sexes avaient entrepris un dialogue qu’eux seuls comprenaient mais qui captivait mon attention. Et puis, progressivement la vibration ralentit et prit de l’amplitude, elle devint un tout petit mouvement. Je ne saurais trop dire qui, de toi ou de moi, bougeait vraiment, tellement il s’amplifia lentement, en prenant le temps d’inclure et de respecter chaque partie de nos corps qu’il gagnait. Comme une danse improvisée à laquelle nos ventres se joignirent facilement. Bientôt, nos bassins se berçaient de concert, soulevant des vagues de plaisir qui nous emportaient à l’unisson. Nos respirations se mirent aussi à s’amplifier au même rythme et, dans le rougeoiement de nos peaux, dans nos suées qui se mêlaient, ce furent nos corps tout entiers qui tanguaient ensemble, emportés dans une même tornade qui n’en finissait plus de monter, dissipant toute retenue dans son sillage, jusqu’à ce que ma conscience se dissolve dans la béatitude du néant.

Je revins à moi avec le souvenir de nos cris qui vibraient encore dans mes oreilles. Et tu étais dans mes bras, radieuse, les yeux rieurs, encore essoufflée. Je n’en finissais plus de t’embrasser de reconnaissance de te savoir là, de savourer avec toi ces instants de bonheur, de délices intenses.

Merci, mille mercis pour cette inoubliable visite au musée.