Pascal affirme que le silence des espaces infinis est effrayant. Mais je sais d’expérience qu’il n’en est rien et que l’infini offre son murmure à ceux qui lui sont ouverts.
Il y a une dizaine d’années, j’étais allé avec un de mes amis astronome amateur observer les Perséïdes, cette pluie d’étoiles filantes qui chaque année, au mois d’août, illumine le ciel de ses feux d’artifices naturels. Nous nous étions installés dans un champ à l’horizon dégagé, loin des lumières de la ville, afin de profiter de la façon la plus favorable possible de ce spectacle subtil.
Lors de cet événement astronomique, et quand les conditions atmosphériques le permettent, il n’est pas rare d’observer plus d’une étoile filante à la minute, certaines fort brillantes, pouvant traverser le ciel d’un horizon à l’autre. Nul besoin d’instrument optique sauf une chaise longue et un large thermos de café. En effet, les Perséïdes se font plus nombreuses après minuit et le spectacle dure jusqu’à l’aube.
Nous venions d’arriver sur place et étions encore en train d’aménager notre site d’observation avec notre matériel lorsque, penché sur le sol pour y placer un trépied, je vis les alentours soudainement, et dans le plus grand silence, éclairés par la lumière crue d’un flash. J’eus juste le temps de voir mon ombre, sous moi, avant de me redresser, ébloui. Je me retournai pour voir mon ami, tourné vers le ciel, pourtant sans nuages, tout aussi décontenancé que moi. Nous fûmes encore plus surpris d’entendre après une bonne vingtaine de secondes, le faible écho d’un chuintement qui ressemblait à un coup de tonnerre.
Il ne pouvait s’agir d’un éclair de chaleur puisque le temps était frais, et le ciel entièrement dégagé. De plus, les ombres que le flash avait provoqué indiquaient clairement que le phénomène ne pouvait venir que du zénith.
Nous comprîmes tous les deux que nous venions d’assister à la destruction d’un bolide, qui avait dû plonger à la verticale de notre localité et avait explosé dans l’atmosphère. Les astronomes professionnels croient que la majorité des étoiles filantes, de simples grains de poussière cosmique, connaissent ainsi leur fin en haute altitude et que leur désintégration demeure muette, signalée seulement par un trait fugitif de lumière dans la nuit. Quelquefois, des aérolithes plus importants, pénètrent plus avant dans l’atmosphère et arrivent même au sol. Le phénomène n’est pas exceptionnel puisque de nombreux astronomes amateurs ont pu assister à la combustion spectaculaire de ces météores, qui l’espace d’un souffle, illuminent toute la voûte étoilée dans leur course fatale vers notre planète.
Il en va souvent ainsi de notre vie. Les moments les plus intimes de notre existence nous aveuglent par leur intensité et nous ne les appréhendons définitivement, que bien longtemps après leur venue, par leur réverbération sur nos gestes quotidiens. Nous devenons alors les témoins accidentels de notre vie, surpris par la fulgurance de ces manifestations qui explosent en nous et, qui l’espace d’un instant, nous laissent sans certitude, désemparés devant la magnificence indicible de l’abîme.
William Blake écrit que si les portes de la perception nous étaient ouvertes, chaque chose nous apparaîtrait telle qu’elle est réellement, c’est-à-dire infinie. Je crois qu’il en est de même de nos passions. Celles-ci, comme les météores qui dessinent de silencieuses arabesques sur le rideau obscur de la nuit, nous échappent et ne laissent dans nos mémoires que le souvenir ténu d’un éclat éphémère. Mais fortuné est celui chez qui un tel sentiment cause le vertige d’une révolution, la révélation de cet infini à la portée de la main, de cette éternité dans l’instant, de cette promesse à la fois exaltante et terrifiante du geste à poser, de l’existence à vivre.
Nous avons beau nous préparer à l’expérience de la beauté, de la grâce, de l’amour, ou de la mort, nous restons désarmés devant la discontinuité de nos vies, face à l’irruption de la Providence, dont le nom caché est Nécessité — et non Hasard.
Depuis cette nuit zébrée d’astres fugaces, il y a déjà une décennie, où " l’obscure clarté qui tombe des étoiles " m’aveugla, je suis retourné observer à plusieurs reprises les Perséïdes. Elles n’ont plus jamais révélé la splendeur perdue de cette soirée dans les Laurentides, même si leur discrète beauté continue à m’enchanter. Mais je persiste à scruter régulièrement les profondeurs du ciel, et du cour humain, dans l’espérance d’une épiphanie à venir. Je sais dorénavant que ces espaces infinis ne sont ni silencieux ni effrayants, et que le simple fait d’exister porte en soi la promesse merveilleuse d’un signe, qui n’est peut-être que l’écho lointain de notre éveil secret au monde.