Messaline Dutrisac avait les cheveux châtains, les yeux bleus, des seins opulents, des hanches généreuses et un bassin de natation dans lequel des personnes nombreuses avaient joui du plaisir de plonger. Ce bassin était de dimensions olympiques et Messaline en jouissait elle-même chaque jour, car elle était championne et entendait le rester.
Que de nombreuses personnes, surtout des hommes, l’eussent utilisé
et continuassent de le faire ne pouvait que la réjouir, car elle aimait la compagnie
et les encouragements, surtout de la part des mâles de son espèce, l’espèce humaine.
Certes, il était arrivé à des animaux d’autres espèces, notamment des chiens, d’en profiter, mais elle n’avait guère apprécié. Elle avait donc sévèrement réprimandé
les gens qui avaient introduit ceux-ci dans son intimité et les lui avaient imposés à l’occasion de soirées au cours desquelles le nombre et la qualité des invités l’avaient incitée à ne pas faire d’esclandre. C’était dans les jours suivants qu’elle avait réagi jusqu’à, dans certains cas, rompre ses relations avec les personnes qui lui avaient fait un coup pareil. En effet, elle était plutôt dédaigneuse et, chaque fois qu’une telle chose était arrivée, elle avait dû passer des jours en divers lavages et nettoyages, au point que, ces jours-là, elle avait renoncé à se rendre au travail, pour se consacrer d’urgence à ses travaux de purification. Ces jours-là, ses voisins la voyaient s’affairer encore plus que de coutume.
En fait, elle ne s’était jamais chargée elle-même de ces travaux, car il y avait toujours un mâle au teint hâlé et aux biceps puissants disposé à lui rendre service, à s’occuper d’elle et à faire étalage de sa force et de son enthousiasme. Ce n’est pas elle qui vidait le bassin, en frottait les parois d’un désinfectant, en changeait ou en nettoyait le filtre et le remplissait de nouveau. Elle tenait même à ce que les plongeoirs fussent débarrassés de toute saleté suspecte, même si elle n’avait aucune souvenance d’avoir vu les chiens, par exemple, les utiliser pour se précipiter dans sa piscine.
Par ailleurs, ce qui était particulièrement remarquable chez Messaline Dutrisac, outre sa vive intelligence et son grand sens de la repartie, c’était sa bouche lippue. Elle avait, en effet, de ces lèvres charnues faites pour la gourmandise. Ses intimes savaient que cette apparence n’était pas trompeuse et qu’elle avait effectivement une bouche gourmande.
Ceux qui avaient eu l’occasion d’embrasser Messaline à pleine bouche avaient constaté qu’elle réagissait avec toute la ferveur de ses vingt-deux ans à cette stimulation de ses lèvres, de sa cavité buccale et de sa langue, en embrassant elle-même à bouche que veux-tu et ils avaient compris toute l’importance qu’il y avait, quand la situation le commandait, à savoir respirer uniquement par le nez. On disait d’elle qu’elle était une fine bouche et c’était, notamment, parce qu’elle était de ces personnes qui, lorsqu’elles ont quelque aliment en bouche, l’y laissent fondre sans avaler ou, du moins, retardent langoureusement le moment de faire cette dernière action. Bien des gens étaient restés bouche bée devant une telle langueur, mais ses intimes y étaient habitués et en avait plutôt l’eau à la bouche rien qu’à la regarder faire, à un point tel que, lorsque l’un d’eux quittait une réunion en prétextant qu’il avait une bouche à nourrir, tous les autres savaient qu’il s’apprêtait à se rendre chez Messaline.
Elle-même était fort consciente de sa propension quasiment vicieuse au plaisir de jouir des sensations que pouvaient procurer une lippe et une langue expertes à la dégustation de toute bonne chose, allant des pêches capiteuses jusqu’à d’autres fruits des espèces les plus diverses que la nature voulait bien lui permettre de goûter.
Ce jour-là, après déjeuner, Messaline avait décidé de garder quelque chose pour la bonne bouche. Il était un peu passé midi et elle était assise sur un banc d’un parc ensoleillé. Elle était vêtue d’un tricot léger, très ajusté – qui laissait facilement voir les généreuses sinuosités de sa poitrine-, et portait un pantalon moulant, qui ne laissait presque rien à l’imagination tellement il découpait ses formes, que plus d’un aurait qualifié d’éminemment désirables.
Toutefois, tout affriolant que pût être l’aspect de la jeune femme, c’est surtout ce qu’elle était en train de faire qui retenait l’attention.
Légèrement penchée en avant, elle avait posé la main gauche sur le genou du même côté et tenait fermement, de la main droite, la chose qu’elle avait approchée de ses lèvres carminées. Au moment où elle commença d’en lécher l’extrémité, elle ferma les yeux, sans doute pour savourer avec une plus grande concentration ce qu’elle offrait à sa bouche avide. Elle passa donc plusieurs fois la langue sur le bout arrondi, et presque chaque mouvement de son muscle exercé s’accompagna d’une sorte de miaulement, qui en disait long sur le plaisir qu’elle tirait de sa dégustation. Ce manège avait duré de longues minutes, lorsqu’elle se mit à engouffrer ce qu’elle n’avait, jusque là, que chatouillé, en quelque sorte.
L’homme qui se trouvait en face d’elle appréciait beaucoup de la regarder faire et, si elle avait eu les yeux ouverts, elle eût vu, chez lui, une expression où se mêlaient à la fois le plaisir et l’abasourdissement. Faire de tels gestes, poser un tel acte en public tenait d’une audace peu commune, mais telle était l’audace de Messaline Dutrisac. Malgré qu’il eût eu, lui, les yeux bien ouverts, l’homme ne se rendit pas compte de l’attroupement qui s’était fait dans son dos, car les badauds s’étaient approchés à pas feutrés et en sans dire un mot, de peur que, si l’on eût remarqué leur présence, le charme se fût rompu, en même temps que le fil des événements. La scène faisait songer à ce tableau que dépeint Brassens, dans l’une de ses chansons, parlant des occasions où, sur un banc public, " Margot défaisait son corsage pour donner la gougoutte à son chat ".
Messaline avait donc la bouche pleine de la chose, car ses lèvres effleuraient alors sa main refermée sur celle-ci. En dodelinant de la tête, elle imprima un mouvement de succion à tout son appareil d’ingurgitation, mouvement auquel participaient donc, de la façon la plus goulue, ses lèvres, sa langue et ses joues. Tel sucement dura plus de cinq minutes, seulement ponctué par le fait que Messaline l’arrêta quelques instants, à intervalles plus ou moins réguliers, juste le temps de se lécher les badigoinces, car elle salivait abondamment. Au bout de ces cinq minutes, il sembla que la jeune femme eut peine à retenir tout le fluide qui s’était formé dans sa cavité buccale, car on vit un liquide laiteux s’échapper aux commissures de ses lèvres et commencer à dégouliner sur son menton. Elle tira donc la langue et se pourlécha les babines.
Les témoins n’en revenaient tout simplement pas de la voir agir de la sorte et l’homme d’affaires, la ménagère, l’informaticien, la théologienne, l’entrepreneur en construction, la biologiste, le mercier, la blanchisseuse, le volcanologue, la cryptozoologue et même le policier étaient, à leur corps défendant, tout excités, mais se gardaient bien de le laisser paraître, quoique que tout observateur bien au fait des subtilités du langage du corps eût au moins constaté la brillance dans les yeux de chacun. Comme tous les autres bayeurs que le hasard, ou la nécessité, avait conduits dans ce parc, le policier était resté interdit devant le spectacle et non seulement ne savait-il pas trop si le code réprimait de tels agissements, mais encore constatait-il que pas la moindre personne ne semblait dans les dispositions de se plaindre de ce qu’elle voyait. Il n’avait remarqué, dans la petite foule silencieuse, aucune mine scandalisée, mais il avait vu, plutôt, des mines réjouies, pour ne pas dire jouissives. Par ailleurs, il n’était pas en service à cette heure. Il se prit à se demander si les gens eussent réagi à son endroit, s’il s’était trouvé là en uniforme. Il se dit que, dans un tel cas, certaines des personnes présentes auraient, sans doute, pour faire bonne figure, prétexté être scandalisées et il en conclut qu’il y avait, dans la société, des gens qui semblaient cultiver l’hypocrisie, comme d’autres, plus candides, cultivaient leur jardin.
Finalement, Messaline Dutrisac, gardant toujours les yeux fermés, mordit à belles dents dans ce qui occupait toujours sa bouche, le mâchouilla, le tritura, le mastiqua, avec une évidente délectation, et l’avala tranquillement, étant toujours observée par le même groupe de curieux.
Elle ouvrit les yeux, en se levant, et une salve d’applaudissements retentit. L’homme qui avait été aux premières loges, sur ce banc à peine à un mètre cinquante en face de celui où Messaline s’était trouvée, resta longtemps songeur, car il n’avait, de sa vie, jamais vu quiconque se régaler de façon aussi suggestive, voire avec autant de volupté, d’un simple cornet de glace à la vanille.