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LE SYNDROME DE LA FÉE CLOCHETTE

"Pis vous autres, c’est pour quand?" Cette phrase, je l’ai entendu plus d’une fois, ainsi que ses charmantes variantes comme l’humoristique: "Faites-vous juste pratiquer ou quoi?" La caustique: "T’as quel âge? 31.ouais, ça va être le temps d’y penser sérieusement!" Le rassurant classique: "Quand ça va être le tien, ça sera pas pareil." Mais la pire de toutes:" C’est ton chum qui veut pas hein, non, c’est toi ah, c’est rare!" Le tout suivi d’un regard singulier de la part de mon interlocutrice (eh oui, ces questions sont pour la plupart typiquement féminines) qui, par la suite, s’éloigne lentement, comme si tout à coup, elle se trouvait en présence d’une créature grotesque risquant de lui sauter dessus à tout moment ou d’une aberration de la nature. Ben oui, c’est pas mon chum, c’est moi qui cloche!

Le pire cauchemar, les réunions de famille! J’haïs Noël, le Jour de l’ An, Pâques et tout le bataclan, parce que je sais qu’à toutes les fois, ces petites phrases magiques seront inévitablement prononcées. J’ai essayé plusieurs tactiques comme l’honnêteté, mais être un freak qui s’assume, ce n’est pas facile. Par la suite, j’ai décidé de viser la corde sensible des gens et j’ai prétexté être stérile, quel mensonge! Mais c’était plutôt malin. Au début, j’aimais bien ce stratagème, car personne n’osait plus me poser de questions par la suite, mais le hic c’est que ça ne s’applique qu’aux inconnus ou aux vagues connaissances. Imaginez le drame dans la famille immédiate! Donc, en attendant, j’utilise la technique du verre toujours plein. Au lieu de répondre, je prend une longue gorgée de merlot (ou autre liquide à ma disposition) que je déguste lentement et termine le tout avec un sourire "bouche pleine" et un demi-tour vers la table à buffet la plus proche, car la nourriture peut également servir lors de l’exécution de ce truc complexe. En l’absence de breuvage ou de bouffe, on peut tout simplement simuler un urgent besoin d’aller au petit coin. Un peu simpliste, mais au moins, ça fonctionne.

J’ai toujours su que je ne voulais pas d’enfants. Adolescente, lorsque je lançais cette affirmation, personne ne semblait s’en offusquer. On devait se dire:" Elle changera d’idée bien assez vite." De toute façon, la majorité de mes amies disaient la même chose que moi. Mais au fil des années, je suis la seule d’entre elles à ne m’être jamais démentie. Je tiens bon. Habituellement, je suis dotée d’une imagination assez florissante. (Quelquefois un peu trop.) Mais essayer de m’imaginer avec un ventre et des seins démesurés ou encore en train de pousser un carrosse ou changer des couches, c’est au dessus de mes capacités de visualisation.

La dernière fois que je me suis pointé le nez à un baptême, ce fut la honte totale. Après les interminables et ridicules scènes de guili-guili prout-prout auxquelles tout le monde participait, mon aimable belle-sour, connaissant ma déficience sérieuse côté instinct maternel se tourne vers moi avec son plus large sourire en me tendant le bébé, "Tiens, prends-le!" Voyant mon air hébété et ma sérieuse hésitation à m’exécuter, elle renchérit de plus belle avec sa voix la plus haut perché: " Ben, prends-le voyons, il ne te mangeras pas!". Bien sur, avec une telle intonation, toute l’assemblée cessa immédiatement de parler et se retourna vers nous. Avec une quarantaine de paires d’yeux rivés sur moi et attendant la suite, je n’eus d’autre choix que de prendre le bébé en question. Ma première constatation fut qu’un bébé, c’est affreusement petit! Aussi, il venait tout juste de bouffer. On sait ce qui arrive dans ces cas là. Ma robe sortait du magasin! S’il avait fallu.J’avais l’air de tenir une bombe prête à exploser dans mes mains. Je semblais aussi naturelle qu’un lutteur sumo dansant le baladi. D’ailleurs, j’ignore si je suis parano, mais j’ai cru lire de la pitié et de la compassion dans le regard de quelques uns des "spectateurs". Reste à savoir si la pitié est dirigée vers moi ou vers mon chum qui n’aura, de toute évidence, pas la chance de "perpétuer l’espèce" avec une fille pareille!

Eh oui! car en plus, il a fallu que je tombe sur un gars qui voulait se reproduire. Modèle rarissime de nos jours. Habituellement, le mâle moyen cherche le moins possible à procréer, mais il semble qu’à la loto-couple, j’ai gagné le forfait bon gars et petit-père. N’importe quelle fille serait folle de joie, mais de toute évidence, ce n’est pas mon cas! C’est le monde à l’envers. À chaque fois qu’il y a un enfant dans les parages, il se "garoche". Ça a toujours l’effet d’attendrir les p’tites mères lorsqu’il roule par terre pour amuser leurs rejetons. Moi, je trouve ça d’un ridicule.Quelle perte d’énergie et surtout, quel manque de subtilité. Ça ressemble à une pub de l’Église des Saints des derniers jours vantant les bons côtés de la famille. Il ne manque que la zizique et les petits oiseaux! J’ai compris chéri, pas besoin d’un dessin! Le pire, c’est qu’il a laissé son ex parce qu’elle le harcelait pour avoir un bébé. C’est à n’y rien comprendre. Le prochain qui ose me dire en face que les femmes sont difficiles à cerner va se prendre un de ces coups de sacoche dans les dents, je vous le jure! Quand je vous dis que je suis un freak, me croyez-vous maintenant?

Si au moins, tout ces trucs mamans bébés et tout le tralala, ça pouvait s’attraper comme une grippe ou une gastro-entérite! À quand le vaccin transmettant l’instinct maternel? Si seulement je pouvais contracter le goût d’avoir des enfants en me faisant éternuer dans le visage par une femme enceinte ou en buvant dans le même verre qu’elle. Enfin, je pourrais être comme tout le monde tout serait merveilleux, comme dans la pub de l’Église des Saints des derniers jours! Le bonheur quoi! Je pourrais parler couche-culottes et lait maternisé avec les autres filles de mon âge, on pourrait comparer nos vergetures. J’aurais à nouveau des points en commun avec mes anciennes amies. Au lieu de ça, je vais à la taverne pour prendre une bière avec mes chums de gars. (Qui, étrangement, sont plus nombreux que les chums de fille) Ce sont des anciens collègues de travail. Pas de sous-entendu déplacé, s’il vous plaît! Ne vous méprenez pas, ce sont des vrais chums à qui je peux tout conter. Eux, au moins, ils me comprennent, parce qu’ils ont, pour la plupart, vécu la même chose.

Justement, les hommes, eux, au moins, ils ont le syndrome de Peter Pan pour excuser leur manque de maturité. Les incartades de toutes sortes, les sorties tardives, les mononcs reluquant du côté des jeunes poulettes, le refus de s’engager, de faire des bébés.Tout ça, c’est la faute à Peter. Les femmes elles ont quoi? Si quelqu’un a une réponse, qu’il me le fasse savoir au plus vite! En tant que fille qui cloche, j’affirme aujourd’hui souffrir du syndrome de la fée clochette. Pour ceux qui ont oublié l’histoire du Capitaine Crochet, c’est à-peu-près le penchant féminin de Peter Pan, vous savez, la petite fée cute avec un chignon et une mini-jupe verte qui apparaît toujours avec sa baguette magique à la fin des aventures de Disney. Vous n’avez jamais entendu parler de cette affection, c’est normal, on n’a pas encore déclaré son existence officiellement. Du moins pas encore. Mais on ne sait jamais, peut-être qu’un jour un psy avant-gardiste me prouvera que je ne suis pas seule dans mon cas! Après tout, il existe bien des regroupements d’adorateurs de Charles Manson, des compétitions de air guitar, des gens qui écoutent Loft Story. Pourquoi n’existerait-il pas d’autres fées clochettes?