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Le thermomètre

J’ai le mâle à l’âme. Chaque hiver c’est la même chose. Mais ce soir, le bas ventre me triture plus qu’à l’habitude. Le cou, les fesses, la poitrine. Ma serviette de ratine m’offre peu de réconfort au sortir de la douche. J’ai besoin davantage que de la crème anti-ride à me mettre sur le corps.

Je recule, reviens et parcours les souvenirs de canicule. La saison des vêtements plus légers, les journées où la peau s’offre au Soleil. Soif de sueurs.

J’en ai marre. Fatiguée, j’irai à la pêche au harpon. Qui prendre? Qui choisir? Je sais que l’exercice est source de chaleur. Pas d’aérobie. Je veux un corps sur le mien. Je veux poser mon corps sur le sien. Sur le sien? Lequel choisir? Comme si j’avais déjà des noms…

Pourquoi faut-il toujours attendre. La jouissance expectative au bout du regard… La pêche au bas filet rapporte trop de spécimens. Je préfère la pêche à la mouche. Un peu de parfum et quelques mots lancés puis rattrapés en espérant la belle prise. Mais j’opte pour la glace. La ligne du décolleté et la brimballe va et vient.

Je mange plus gras parce qu’il fait plus froid. Le cognac me rend le coeur chaud. J’ai besoin de défi.

Luc, je choisi Luc. Parce que ça fait cul à l’envers. Parce qu’il est macho. Parce qu’il est con. Parce que je lui résiste.

Je recule, reviens et parcours. Ce sera Luc. Ce grand homme musclé, abonné à la terasse du Bistro d’Or. Un vrai. Typique. Nous le voyons toutes venir. Il regarde sans crier gare. Il reluque avec des yeux perçants. Un véritable voyeur en série.

L’été, Luc est trop évident. Que sera-t-il, en janvier, à trente degrés sous zéro? Je vais lui dire oui. Sans m’expliquer. Je verrai bien s’il est aussi con qu’il le laisse paraître. "Luc, baise-moi! Fais ce que tu veux." Mais c’est moi qui ferai ce que je voudrai, où je le voudrai. Je serai à la hauteur.

L’accès au garage est déneigé. J’ai mis quelques bûches dans la truie. J’ai dépoussiéré ma vieille causeuse qui attendait toujours son transport pour le dépotoir. Tout est parfait. Je le crois du moins. Il ne me reste plus qu’à retrouver ma petite bouteille.

Le manteau de fourrure de ma vieille tante Aline ne sent plus trop le garde-robe de cèdre. Je ne sais pas si Luc aime la fourrure. Qu’importe. C’est moi qui décide. Dans le classique. Manteau de fourrure et collier de perles.

Le manteau, le feu, son corps. Ça devrait suffire.

J’ai seulement un petit problème. Je le reçois à la maison et je l’invite au garage. Je le suis, je le guide. Mais en bottes? Ça coupe le charme.

Il me prend dans ses bras. Je peux garder mes escarpins. Non. C’est moi qui mène.

J’irai au garage avec mes bottes et je mettrai mes souliers là-bas. Il viendra m’y rejoindre. Pas de maison.

Des bas. Sans jaretelles. Ils tiendront seuls. Le moins d’accessoires. Ils seront noirs. Et je laisserai ma poitrine libre. Les seins au froid. Une offrande, Luc. Une offrande.

Et s’il ne répondait pas à mon invitation? Il va répondre. J’irai le chercher par le scrotum s’il le faut. Il viendra ici, chez-nous. Il viendra sur moi, en moi. Luc, viens. Je t’attends.

Je suis convaincue que ma voix fera le travail. Il ne pourra plus résister. Viens avec ton érection, joli garçon. Les couilles qui lui servent de cerveau ne poseront pas de question. Il arrivera tout de suite. Avec un peu de doute, mais pas plus.

Je me mordrai les lèvres en raccrochant et laisserai tomber un léger soupir. Tout juste avant de sortir. Il fait moins trente degrés. J’ai besoin de chaleur.

Mes rondes fesses sur la causeuse s’acclimateront. Mon coeur gonflera mes tempes lorsque j’entendrai la portière de la voiture. Je suis prête à m’offrir. C’est mon jeu. Caresse-moi.

Je serai cette bûche et Luc me couvrira de ses flammes. Sans moi, il ne pourra plus vivre. J’attendrai. J’entendrai ses pas dans la neige. Il faut que j’appelle. Maintenant!

Il ouvrira la porte et je lui répondrai en haïkus

baigné dans l’orgie

L’opulence de la chair

culbute l’amour

j’ai vu ton visage

senti toute ta chaleur

goûté tes cheveux

je me suis noyée

dans le parfum de ta peau

je voulais t’aimer

Luc ne saura plus quoi faire. Je lui dirai simplement: "Déshabille-toi"

Je verrai sa stupeur. Il n’aura aucun effort à fournir. Je l’inviterai pratiquement nue, à baiser, ici, dans le garage. Il n’aura pas à lever le petit doigt. Sa vanité demeurera discrète. Viens. Prends-moi. Point à la ligne. Pourquoi s’attendrir dans l’inutile?

Je lui offrirai un peu d’alcool. Pour le ramollir. Pour me donner du temps. Pour qu’il puisse me voir. Me sentir. Me toucher. Pas question. Pas tout de suite.

Je lui offrirai un peu plus d’alcool. Pour me donner du temps. Pour jeter son chandail, ses pantalons, tout ce qui me tombera sous la main, là, dans le feu.

Il protestera. Je serai plus aguichante. Je voudrai qu’il pense au moment présent. À moi.

Luc sera-t-il doucereux? Violent? Amorphe? Baisera-t-il selon ses prétentions?

Déshabille-toi!

Pas tout de suite. Il faut toujours bien que je te téléphone. Je pose le combiné entre mes cuisses. Pour la chance. Pour l’espoir. Je compose. Il me répond. Je lui parle.

"J’arrive tout de suite…"

C’est bien ce que je croyais. Aussitôt dans le garage, j’ajoute un bûche supplémentaire. Luc s’en vient. Et j’ai froid. Il fait trente degrés sous zéro. Je languis sous mes petits frissons. Je m’approche de la truie et prends de grandes respiration. Ça va mieux. J’approche finalement la causeuse et je sors ma petite bouteille de mes poches. Il me trouvera probablement sotte.

Je ne veux pas le geler. Je n’ai rien à foutre d’une sucrerie glacée. La portière! Le voilà. Comme prévu… Luc prend la peine de cogner à la porte. Je ne peux m’empêcher: "Tire la chevillette, la bobinette cherra!"

Luc est surpris et je ne lui donne pas le temps de réagir. Comme toute bonne hôtesse, je lui demande de me donner son manteau. Je le jette par terre puis je lui offre l’accolade, non sans lui offrir ce que je porte sous mon manteau… Pas un mot ne sort. Je lui saisis le sexe de la main gauche et lui pince une fesse de la droite.

Un petit grommellement précède un bruit étrange que j’attribue à la satisfaction. "Viens t’asseoir…" Aussitôt sur la causeuse, il sort son asernal de baisers mouillés. Une langue peu subtile et des mains qui ne connaissent rien de la finesse. Les seins sont déjà pétris.

Déshabille-toi!

Je le somme de reculer. Il proteste. Il rechigne à l’idée de jouer à Adam pendant que je me vautre dans un manteau qui me protège de l’humidité. Je lui réponds en lui envoyant ma petite culotte à la figure. Il obtempère.

Pendant la fellation, je sens que les flammes baissent. Le sang me monte à la tête et gonfle mon sexe. La satisfaction lui sert de couverture. Il trouve une seconde pour me demander de nourrir le feu. Je refuse et pompe davantage.

Je l’invite à se coucher sur mon petit divan. Je me couche sur lui et lui offre la chaleur de mon manteau. Quelques minutes, pas plus. Il gueule lorsque je jette son chandail au feu. Les flammes reprennent. Je le reprends en bouche.

J’ai chaud. Je suis bien, il a froid, mais il ne s’en plaint pas. Son comportement est à la veille de changer. Je lui claque les fesses pour motiver sa grogne.

Ça fonctionne et il frissonne. Je deviens plus tendre et lui passe mes mains dans le dos, pour le réchauffer. Son érection tient le coup.

Luc commence à me caresser, de sa grosse main, en recommençant une embrassade humide.

J’aime. J’aime beaucoup.

Ses gros doigts me tripotent et mon corps se laisse aller. Des longues minutes. De très longues minutes. Je me retiens. Luc perd en dextérité. Ses doigts sont froids. Puis il me dit, bêtement, qu’il ne sent plus mon parfum.

Je m’assois sur lui et je démarre la pétarade. Il faut bien arriver au but. Il ne semble plus frissonner, mais il se plaint du vent qui s’incruste sous la porte du garage. Du même élan, il se vante de l’aventure. "Du jamais vu!", dit-il. Je savais bien qu’il était con.

J’ai ce que je voulais, mais Luc ramolli. Je lui demande de se réchauffer près de la truie et je me caresse allègrement. Il a de la difficulté à se tenir droit et commence à rouspéter. Il me demande d’enlever mon manteau. Sur un ton qui porte peu à équivoque.

Je m’exécute. Mais Luc ne bouge pas. Il commence à raconter la soirée avec sa dernière conquête et trouve insipide de faire l’amour dans une chambre à coucher. Il ne frissonne plus, mais son aventure sexuelle qu’il me débite perd de son intérêt au fur et à mesure qu’un bégaiement que je ne lui connaissais pas s’accentue.

À nouveau, je m’offre Luc en dégustation. Là, débout, le sexe bien droit dans ma bouche, ses jambes vacillent. Il rit. Il jouit. Enfin. Il veut aller dormir, dans la maison. Il veut bien m’aimer, mais dans mon salon. Pas question. Nous restons ici. Ce n’est pas fini. J’en veux encore.

Je commence à l’asperger de qualificatifs. Le sexe au repos, je lui gonfle l’orgueil. Je lui offre mon manteau. À mon tour de frissonner.

Je suis prête pour le jeu final. Je mets la main sur ma petite bouteille et je lui explique le jeu. Je me couche sur la causeuse. Luc reprend de la chaleur sous le manteau et m’écoute, malgré un visage maquillé d’impatience.

Je lui explique et me caresse. Pour le tenir alerte. Et je lui parle de Monsieur Tremblay. Le professeur de chimie que nous avions, tous les deux au secondaire. Celui-là même qui ressemblait à Colombo. Je lui ai parlé de la grosse bouteille, celle qui ressemblait aux gourdes qu’utilisent souvent les sportifs. Elle contenait un liquide gris.

Luc cherchait moins dans ses souvenirs qu’il regardait mes mains agiles. Puis il s’est souvenu. Et ne voyait pas pourquoi cette anecdote avait de l’importance. Là, dans le garage.

Je lui demande de venir jouer au missionnaire. Il acquiesce, comme je m’y attendais. Un grand classique, simple et efficace. Nous jouissons à tour de rôle. Luc présente une faiblesse. Il veut rentrer. Boire un café. Tout ça va trop loin pour lui.

Je recommence avec mon jeu et il me traite de folle. Luc ne sait pas où je veux en venir.

Il s’agit seulement d’un petit fantasme. Un tout petit. Pas de malice. Il me répond que Monsieur Tremblay n’a rien d’érotique. Je lui explique que j’ai réussi, à l’époque, à voler un peu de ce liquide gris. Je lui montre ma petite bouteille.

Oui, Luc, je l’ai depuis tout ce temps. Je ris. De le voir nu, ses bas aux pieds en manteau de fourrure. Je lui promets qu’après… Nous rentrerons à la maison. Parce qu’il… Parce qu’il pourrait bien partir.

Je lui donne ma petite bouteille. Toute petite. Je baille soudainement à m’en décrocher la mâchoire. Luc, je me couche. Verse m’en une goutte, sous le menton. Vas-y! Je resterai immobile. À peine un souffle pour demeurer stable. Seulement une goutte, qui, par la force des choses, glissera entre mes seins, filera sur mon ventre et terminera sa course sur mon sexe.

Verse une goutte. Je veux la sentir glisser. Je sais où se trouve ce froid. Mon corps saura nous l’indiquer.

Luc, le mercure est à la baise. Non. Pas d’ambulance. Pas d’hypo… La goutte de mercure glisse. Empêche l’inconscience et embrase-moi. Là, ici, dans le garage. Le feu ne brûle plus… Tous ces hivers noirs…

Le cafard crie sa douleur…

Le sommeil me chauffe.