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Marcel L’Heureux

Quand il se réveilla, il avait mal à la tête. Ses 3 heures de sommeil n’ont manifestement pas réussi à lui enlever ce clou du crâne. " La prochaine fois, tu devrais faire plus attention Marcel" se disait-il. En effet, porter un casque n’est pas ce qu’il y a de plus rassurant. Tout de même, il décida de se lever.

Alors qu’il se brossait les dents, il regarda tendrement sa fille, Éléanor, jouer avec cet écureuil mort. C’est ce genre de situation qui le rendait si fier de sa paternité. Il la voyait déjà, à trente ans, alcoolique et seule dans un bar. Il l’aimait tellement. Puis, soudainement, sa femme vint par derrière pour l’étreindre contre-elle. Elle avait encore cette barbe matinale qu’il aimait tant. Ils s’échangèrent quelques baisers et elle sortit par la fenêtre.

Il descendit à l’étage après s’être rassuré qu’il était bien nu. Son fils aîné, devant la télévision, était toujours aussi sage. Avec une bouteille de vodka à la main, il savait ce qu’il lui fallait pour partir du bon pied. Marcel se rendit ensuite ver la porte de derrière pour aller y chercher son journal. Par le plus heureux des hasards, il croisa Adrien le facteur, qui était gentiment en train de lui voler quelques chemises sur la corde à linge.

– Ha! Mon cher Adrien! Comment vas-tu? Tu tiens toujours la forme?

– Bien évidemment Marcel, cette jambe en moins est ce qu’il y a de mieux pour le jogging matinal.

– Et ta femme? Toujours enceinte de ton frère?

– Marcel, tu ne peux pas savoir comment je suis heureux. Le bébé arrive dans quatre mois!

– Tu es vraiment un homme chanceux. Un bébé, à quinze ans; je n’ai jamais eu cette chance.

– Bah! Ne t’inquiète pas. Un jour, ton tour viendra. Bon, il faut que je te laisse, ta femme m’attend chez-elle. Au revoir.

Ce cher Adrien; Marcel et lui se connaissaient depuis une bonne vingtaine d’années. Ils avaient tout partagé ensemble : la même école, le même lit, la même copine. Ils s’étaient perdus de vue lorsque Marcel déménagea de l’autre côté de la rue, mais, heureusement, se sont retrouvés alors qu’ils partageaient un même bain.

Marcel se mit donc à lire le journal, en savourant son steak et sa cigarette matinale. Il sauta les annonces classés : " Enfin la paix au Proche-Orient " et " Corruption au sein du gouvernement ", pour se consacrer au sujet de l’heure, celui qui suscitait actuellement plusieurs débats chez l’élite intellectuelle : " La femme n’est pas un homme ". Il lut l’article avec un grand intérêt.

Constatant qu’il était 19h, il finit rapidement sa cigarette et jeta son steak. Il devait se dépêcher sinon il risquait d’arriver en retard au bureau. Il s’empressa alors de prendre l’argent de sa femme, d’enfiler son complet, de s’asperger d’eau de la toilette et de bien s’assurer de laisser les portes ouvertes avant de quitter.

Puis, finalement, avant de voler la voiture du voisin, il prit un instant pour s’arrêter. Là, au pas de la porte, Marcel prit conscience de son existence. À cet instant précis, il se rendit compte que toute cette vie, c’est lui qu’il l’avait bâti, que cette maison, c’est lui qu’il l’avait peinturé et que sa famille, il l’aimait. Il regarda longuement le bleu du ciel, prit une bonne inspiration et se dit à lui-même : " Je suis heureux ".