Michel Vézina : Anges vagabonds
Michel Vézina nous offre avec Asphalte et Vodka un road trip classique, carburant à la musique et à la dope, à l’amitié et à l’amour de l’Amérique.
Un homme entre dans un bar de région et commande "une vodka straight, siouplaît", puis plusieurs autres, avant d’éclater en sanglots. Sous le poids d’une peine mystérieuse, il déballe son histoire. Il s’appelle Jean, 35 ans, vient de Trois-Pistoles, il est trompettiste. Engagé dans l’orchestre d’un bateau de croisière, le Queen of the Caribbeans, il se lie à Carl White, 74 ans, trompettiste également, junkie, qui en est à son dernier contrat avant d’accrocher son horn. Carl caresse chaque soir le même rêve de passer ses vieux jours dans son village natal, "St. Louis d’Gaspe Peninsula". Qu’à cela ne tienne, Jean lui propose le voyage, direction la Belle Province. C’est donc dans le station essoufflé de Carl que les deux troubadours de l’excès, barbouillés d’alcool, de pot et de smack, quittent Tampa Bay, Floride, bouillants d’espoir.
"Jean, mon Ti-Jean, si tu m’ramènes che nous, j’te donne mon horn pis j’te donne mon char. Une fois rendu là, j’en aurai pu jama besoin." Mais il n’y a pas que la destination, il y a les escales: d’une ex-plantation de la Louisiane jusqu’aux bas-fonds de Brooklyn, du Chinatown de Montréal, du Lion d’Or, rue Ontario, jusqu’à la rivière Matapédia, le pèlerinage du tandem se constelle de rencontres, d’ivresses et de résurgences du passé. Ainsi, on croise la figure de Victor-Lévy Beaulieu, le spectre de Kerouac et des beats, Tortelvis de Dread Zeppelin et Jayne Mansfield, le grand amour de Carl, la robe rose saumon de cette dernière avec laquelle il danse la nuit, depuis des années. Mis à part le reggae, le blues, le jazz, le country, la véritable musique de cette dérive vers l’origine est la voix de Carl, ce franglais châtié de l’exil: "J’ai payé toutt mes lunchs pis toutes mes nuites en jouant dans des hôtels pis sué quais des bateaux pis din voitures de ch’min d’fer […] J’en ai vu des fancies de belles places pis des angels de belles madames."
Malgré sa verve et son désir du monde, le vieux routier commence à se fatiguer; de fix en fix, le manque est impossible à digérer. Jean est là, trimant dur pour retarder le déclin de son pote et remplir sa promesse. Mais il devra se mesurer à l’idée que le paradis tient souvent du mythe et que le continent peut finir n’importe où.
Chroniqueur littéraire et théâtral à l’hebdomadaire culturel Ici, Michel Vézina livre un premier roman accrocheur qui, malgré quelques passages éclairés (dont ceux narrés par Carl, et les répliques de ce dernier), se retrouve porté par une langue narrative tantôt trop sage pour l’univers mis en scène, tantôt approximative dans sa syntaxe: "Au début, le jeune trompettiste se disait que c’était peut-être qu’il fumait trop et que sa capacité de concentration commençait à s’émousser." Reste un honnête roman d’errance s’inscrivant dans le sillon de Volkswagen blues et Sur la route, soucieux d’authenticité dans la livraison des dialogues. Même alourdi de redites lassantes, Asphalte et Vodka parvient à extraire des racines québécoises l’alcool fort de la dépossession.
Asphalte et Vodka
de Michel Vézina
Éd. Québec Amérique, 2005, 168 p.