Amélie Nothomb : Dormir au gaz
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Amélie Nothomb : Dormir au gaz

Le roman annuel d’Amélie Nothomb met en scène une émission de télé-réalité pas comme les autres. Arrêt sur image.

La titre annonce en partie le programme. Acide sulfurique, c’est l’horreur des camps nazis recréée dans le cadre d’une émission de télé-réalité sordide, Concentration. Point de départ prometteur, qui aurait pu engendrer un microcosme où les thèmes du voyeurisme, de l’effet d’entrainement, de la manipulation des consciences et des jeux de pouvoir auraient été habilement approfondis. L’auteure de Métaphysique des tubes, dont on connaît la lubie de nous gratifier chaque année d’un petit nouveau, est-elle parvenue à dépasser l’exercice? Bof.

Au milieu de cette histoire qui est au roman d’anticipation ce qu’une ébauche au crayon-feutre est à la peinture de Chagall, il y a CKZ 114 – à leur arrivée dans cette "académie" de la cruauté, les prisonniers du camp, sélectionnés parmi la population de façon parfaitement arbitraire, perdent leur nom pour un charmant matricule. En périphérie, il y a la kapo Zdena, l’une des gardiennes du camp, dont le travail de tortionnaire sera compliqué par le désir obsédant qu’elle voue à la première. Il y a également EPJ 327, un jeune homme entiché lui aussi de CKZ 114, qui le lui rend bien, puis quelques personnages très secondaires dont l’utilité est de donner voix aux prisonniers. Au-dessus de la tête de ces derniers, il y a une épée de Damoclès. Quels seront les prochains à être défigurés par les coups? À entrer dans la chambre à gaz?

Assez vite, on tique sur le personnage de Zdena, cette presque simple d’esprit qui croit pouvoir calmer en torturant les "participants" tout ce que la vie lui a mis dans la gueule. Construction formidablement monolithique, ce personnage, qui va tenter de séduire la belle prisonnière en calquant les attitudes de EPJ 327, a la crédibilité d’une figurine de plastique.

On poursuit la lecture parce que bien entendu, la petite mécanique dont Nothomb a le secret opère. On frémit un peu, c’est vrai, quand la petite et frêle PFX 150 passe à la moulinette après avoir subi toutes les agressions possibles, mais les émotions causées toujours plus proches du divertissement que de l’exploration nuancée de la condition humaine.

L’ensemble sonne un peu creux, comme une coquille joliment peinturlurée mais vidée de son jaune, les plus beaux passages étant ceux où la romancière pointe ce qui définit l’individu, fait son unicité, donc sa valeur. Par exemple quand CKZ 114, pour sauver l’un des prisonniers, offre à Zdena ce qu’elle lui demande depuis des jours: son nom. "Si, voulant parler d’une rose, on ne disposait d’aucun vocable, si l’on devait à chaque fois dire "la chose qui se déploie au printemps et qui sent bon", la chose en question serait beaucoup moins belle. […] Dans le cas de Pannonique, si son matricule se contentait de la désigner, son nom la portait autant qu’elle le portait."

Autre piste inaboutie mais riche: le délire doux de Pannonique, victime chérie du public et inspiration des condamnés, qui tentera peu à peu d’incarner une figure divine, histoire de donner un sens à l’insensé: "Ce n’est pas dans mes cordes et je n’y ai aucun plaisir: seulement, c’est trop nécessaire", dira-t-elle.

Hormis ces moments de grâce, l’ennui. Espérons qu’Amélie Nothomb roulera bientôt ses ficelles habituelles, les planquera au fond d’un tiroir pour nous surprendre vraiment dans un an ou deux (serait-il si grave que ce soit deux?). Nous avons tous hâte qu’elle nous rappelle la pleine mesure de son talent et la fécondité de son imaginaire.

Acide sulfurique
d’Amélie Nothomb
Éd. Albin Michel, 2005, 198 p.