Les Bruits : Trou noir
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Les Bruits : Trou noir

Avec Les Bruits, Reine-Aimée Côté a fait l’automne dernier une entrée remarquée dans la sphère du roman québécois.

Passé l’attrait du bandeau promotionnel (celui du prix Robert-Cliche du premier roman), on bute un peu sur la quatrième de couverture. "Un roman émouvant qui trace un portrait sans compromis des relations familiales destructrices et qui fait entendre derrière les hurlements de la violence les pleurs de l’enfant mal-aimé." Le genre de présentation tiédasse qui nous fait craindre de plonger dans une autre de ces tourmentes familiales sucrailleuses, tangente qui ressemble de plus en plus à une ornière dans le corpus littéraire québécois. Puis c’est le choc.

Au bout de deux paragraphes, on sait déjà qu’on a affaire à une œuvre saisissante; on sait déjà que Reine-Aimée Côté joue des mots comme d’une lame et aura tôt fait de nous emmener loin des écueils associés au genre. Celle qui a déjà signé un recueil de nouvelles (Le Bal des miséreux) et un autre de poésie (Haillons de lune), tous deux publiés chez JCL, expose avec beaucoup de finesse et une étonnante assurance stylistique la névrose d’un homme incapable de faire taire son passé. Ce dernier, narrateur dont la pensée en cascade laisse voir peu à peu les traumatismes, voue un amour-haine à une mère désormais gâteuse, femme à la cuisse légère qui s’est autrefois laissé happer par une vie abrutissante, puis il dépeint tour à tour "l’Homme de peu de mots", qui a partagé plusieurs années avec cette dernière, Marc-Éric, un frère disparu dans des circonstances à élucider, et Cloé, qui danse nue sans savoir quels fantasmes elle sème dans les yeux fous qui luisent, à l’autre bout du bar.

Des leitmotive charpentent ce récit saccadé, l’obsession du narrateur pour les trous, par exemple. Le trou qu’il gosse dans une table à la pointe du couteau, comme d’autres rongent leurs ongles; celui qui s’ouvre dans ses rêves à la manière d’un grand sexe où épancher ses drames; celui par lequel tous les bruits de son enfance seraient enfin évacués…

Les bruits, on l’aura compris, habitent chaque recoin de cette histoire, cadencent comme un obsédant breakbeat une trame qui évoque longtemps la tragédie sans la montrer de face, avec partout des aplats de poésie qui n’ont rien de la fioriture. Le premier roman de Reine-Aimée Côté est une captivante plongée dans une psyché malade, dont on redoute à chaque page les imprévisibles élans.

Les Bruits
de Reine-Aimée Côté
VLB éditeur
2004, 160 p.