Marie Christine Bernard : La vie, l'amour, la mort
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Marie Christine Bernard : La vie, l’amour, la mort

Ces temps-ci, Marie Christine Bernard se promène fièrement avec au bras Monsieur Julot, le premier de ses romans à se rendre jusqu’à la ligne d’arrivée: les vitrines des librairies, les tables de chevet.

Un petit garçon seul sur un quai tient compagnie à une grosse boîte en bois. Le vent, le froid, la tristesse. "Cette image de départ me hantait depuis longtemps", se souvient Marie Christine Bernard, avec sa voix rauque de prof grippée sortant d’une journée de cours au Collège d’Alma. Elle l’aime, son Monsieur Julot, ce n’est pas vraiment un secret: "Henri [ndr: Henri Julot, dit Monsieur Julot] était toujours avec moi, il m’accompagnait tout le temps. Quand je menaçais de le laisser en plan, il cognait à ma porte: "Youhou! Je suis là!" C’est la principale différence entre ce roman et tous mes autres inachevés. Ce personnage refusait que je le laisse tomber."

"Véronique Février, je l’ai greffée à l’histoire de Monsieur Julot", précise l’auteure, comme si on avait fait mine de vouloir voler la vedette à son petit protégé de personnage-titre! Véronique Février est une jeune femme plus forte que tout; pour un peu, elle se retrouverait dans une tragédie grecque, ou héroïne d’une épique épopée médiévale. Faisant preuve d’un humour à toute épreuve, elle se bat contre une saleté de cancer, tout en trouvant le moyen de verbaliser sa douleur, sa peur, ses angoisses et ses démons dans d’innombrables lettres destinées à Monsieur Julot, qu’elle n’a pourtant jamais vu. Le lien entre les deux s’appelle Marie-Louise, une vieille chipie mourante, qui est la tante de l’un et l’amie de l’autre. "Marie-Louise est arrivée très tôt. J’ai entendu sa voix, elle me demandait du gin!" Marie Christine rigole de toute sa grippe avant de poursuivre: "Je n’ai jamais aimé les romans épistolaires! Et pourtant, là, ça s’est imposé comme une nécessité. Ça me permettait de mettre en relation deux personnages apparemment éloignés [ndr: Henri et Véronique ne se connaissent pas.]. Mais surtout j’avais envie de ce Je-là. Il me permettait d’entrer dans le personnage beaucoup plus en profondeur, mais en évitant la traditionnelle narration au Je."

Entre les longues lettres de Véronique se glissent de petits épisodes. Des arrêts sur image de la vie de cet Henri si triste et si attachant. En gris délavé et beige usé, ces moments d’Henri se dévoilent un à un comme des photographies oubliées dans un tiroir de la mémoire, celui qu’on ne voudrait plus ouvrir. "J’ai cherché cet effet de vieil album photos, confirme l’auteure. J’ai voulu peindre ces moments à la manière de Jean Paul Lemieux, mon peintre préféré. Il peint des personnages désespérés, mais toujours entourés de lumière, comme si quelque chose commençait, quelque part, quand même. Mais les personnages du tableau refusent de regarder vers cette lumière. C’est ça le désespoir." C’est évidemment pour cette raison que la couverture du livre apparaît tellement appropriée: un détail de La Mort par un clair matin, de Lemieux.

Par l’entremise de la verve de Véronique Février, on entend la voix distincte de la plume de Marie Christine Bernard. L’humour à l’arsenic de l’écrivaine (elle dira que c’est son héritage gaspésien), la délicieuse érudition qui pointe au détour d’une phrase à l’air de rien, ce style familier dans lequel on croirait entendre une bonne copine, mais truffé de fines trouvailles langagières, parsemé de clins d’œil – elle connaît ses classiques, la dame! -, ce rythme dans le phrasé… Ce roman sur la souffrance humaine, débordant de vie dans toutes ses pages, est écrit par quelqu’un qui sait écrire. Merde, on l’a déjà terminé.

Monsieur Julot
De Marie Christine Bernard
Les Éditions internationales Alain Stanké
2005, 225 pages

L’auteure sera au stand 16, des Éditions internationales Stanké.