Maurice G. Dantec : Le cantique des quantiques
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Maurice G. Dantec : Le cantique des quantiques

Maurice G. Dantec a vu la fin du monde, il la décrit dans un cinquième roman intitulé Cosmos Incorporated. C’est le début d’un temps nouveau.

Il y a trois Maurice G. Dantec.

Le premier est auteur d’un polar conventionnel (La Sirène rouge), de deux cyberpolars métaphysiques (Les Racines du mal et Babylone Babies), d’un déroutant roman politico-mystique (Villa Vortex), puis d’un roman de science-fiction religieux, Cosmos Incorporated, tout juste paru.

Le second Dantec est polémiste. Les romans du premier sont saupoudrés de ses opinions politiques, mais c’est son journal (Le Théâtre des opérations, en deux tomes) qui témoigne le plus éloquemment de la force de frappe d’une pensée qui n’épargne personne, qui évacue la rectitude politique, qui se taille un chemin dans la jungle des bien-pensants, parfois à grands coups de machette intellectuelle.

Le troisième est un homme discret, récemment converti au christianisme, d’une extrême gentillesse, qui fume des petits cigares Davidoff, rigole en parlant avec légèreté d’une querelle scolastique opposant saint Thomas d’Aquin à Averroès avant d’exposer, avec une effroyable précision, la vision de fin du monde que toute cette trinité de Dantec partage.

Celle qui sert de toile de fond, mais aussi de vecteur pour un renouveau religieux, dans l’ahurissant roman Cosmos Inc. dont nous sommes venus discuter.

APOCALYPSE, BIENTÔT

2057, centenaire du Spoutnik, la Terre a été ravagée par le Grand Jihad, le monde est policé par un gouvernement unique, la religion catholique est hors la loi, Sergeï Plotkine débarque à la gare de Windsor alors que l’intelligence artificielle de la métastructure de contrôle l’inspecte de fond en comble, jusqu’aux tréfonds de sa mémoire, de ses secrets les plus intimes. À sa sortie de la gare se déploient en lui des implants mémoriels indétectables qui lui apprennent sa mission, inconnue jusqu’alors: tuer le maire de Grande Jonction, une ville privée d’où décollent des fusées et navettes spatiales en partance pour les stations orbitales, lunaires, ou martiennes, seules échappatoires à une civilisation mondiale en pleine déliquescence, un monde ayant abordé une période de dévolution qui ira en accélérant.

Ainsi débute ce roman apocalyptique où la civilisation a atteint l’ultime point de rupture.

"Je crois que la fin du monde ne sera pas un événement spectaculaire, expose Maurice Dantec en exhalant la fumée bleue de son cigarillo, mais comme une implosion, un trou noir, un effondrement sur elle-même de la technique-monde. Vu que le monde est devenu une machine – pas que le monde soit dominé par les machines, mais il est une machine: la métastructure de contrôle à laquelle tous les individus sont neuronectés, chaque individu n’est plus qu’un rouage, plus ou moins organique, de cette grande machine. Il n’est pas dominé par DES machines, il est devenu UNE machine. Il est pure politique, comme disait Foucault, il est réduit à son état d’espèce, homo sapiens."

Comme d’habitude, chez Dantec, science et métaphysique sont aussi indissociables dans le récit que les deux montants d’une hélice d’ADN. D’autant qu’avec Cosmos Inc., le Français qui a, depuis quelques années, établi sa famille ici, à Montréal, entame la rédaction d’une suite de romans où l’homme, devant l’échec de la technique dans laquelle il a placé tous ses espoirs, se replie vers le sacré, le divin.

"C’est la réunification de la transcendance et de la connaissance, expose-t-il. […] Par exemple, prenons les problèmes que je pose depuis Villa Vortex, mais surtout dans ce roman, à propos de l’ADN junk: c’est 97 % de l’ADN qui est soi-disant non codant, donc qui ne code pas quelque chose d’organique, qui est donc considéré par les modèles standard de la biologie comme du fossile, du déchet. 97 % de l’ADN serait du déchet? Holà! Il y a déjà plusieurs généticiens, biologistes moléculaires ou biosémioticiens, marginaux bien sûr, mais qui disent tout de même: attendez, dans une structure vivante, il n’y a pas 97 % de fossile. 97 % de mort. Alors, qu’est-ce qu’il dit cet ADN junk, s’il ne code pas des protéines? La question est posée."

Mais ce qu’avance ce récit, c’est que cet ADN non codant serait en quelque sorte le siège de l’âme, non? "Oui, enfin non, pas le siège, l’ADN n’est pas un programme, c’est une antenne qui, à mon avis, est connectée, si on le dit comme ça, dans notre ère new age (rires), à des forces cosmiques."

LA CONTROVERSE

Roman d’une densité peu commune, mais dont la narration, un peu plus conventionnelle que dans Villa Vortex, nous ramène plutôt à la suite de Babylone Babies, Cosmos Inc. est le perfectionnement du roman total auquel aspire Dantec. Écrit sous l’influence des textes sacrés, auxquels se mêle le langage des machines, il fond une prose qui s’appuie parfois sur d’étourdissantes répétitions incantatoires qui, si elles alourdissent souvent le récit, imposent le ton. Une voix qui résonne comme un chant cathédral.

Une ambition, presque démesurée, de vouloir écrire un roman chrétien, mais surtout, selon l’auteur, un acte excessivement subversif pour l’époque: "Le christianisme est la chose la plus vilipendée au monde, aujourd’hui. Tous les fléaux de la Terre lui sont plus ou moins attribués, lui retournent plus ou moins sur la gueule", déclare-t-il.

Aussi, on renoue avec le second Dantec lorsqu’il est question de religion.

Le Dantec polémiste, connu pour ses fracassantes opinions sur l’Islam, mais un peu las du scandale provoqué par ses échanges avec le Bloc identitaire, un groupe d’extrême droite français. "Il faut savoir que dans un premier temps, je leur soulignais tout mon désaccord concernant des positions qui rejoignent étrangement celles de l’extrême gauche, soit l’antisémitisme, l’antiaméricanisme. […] Il y avait là certaines contradictions latentes que je voulais comprendre. D’autre part, ils posaient en effet le problème du racisme anti-Blanc et anti-Français qui sévit dans les banlieues parisiennes, sur fond de rap à la "Sniper" et de radicalisation islamiste", explique-t-il pour la énième fois, avec l’affabilité du troisième Dantec: posé, réclamant un dialogue interreligieux, en opposition à la guerre sainte proclamée par les intégristes musulmans, mais évacuant la langue de bois, regrettant qu’on ne puisse plus exprimer librement certaines idées qui choqueraient.

"C’est ce que Bernanos appelait le scandale permanent de la vérité", laisse-t-il tomber.

Cosmos Incorporated
de Maurice G. Dantec
Albin Michel, 2005, 569 p.