Salon du livre : À tout prix
Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean couronne tous les ans des auteurs dont l’œuvre, parue dans l’année, s’est illustrée de façon remarquable. Jasette avec trois champions du verbe.
Baignée dans l’arôme de livres et de café de la Librairie Les Bouquinistes, la rencontre avec trois des écrivains récompensés est tout à la fois riche, captivante et instructive. Trois œuvres fascinantes, mais absolument différentes, à l’image, probablement, de la personnalité, chacune à sa manière fort colorée, des auteurs.
ROMAN
Lauréate du Prix Robert-Cliche pour son roman Les Bruits, Reine-Aimée Côté est désormais doublement médaillée, son livre ayant remporté le prix du Salon du livre 2005 dans la catégorie Roman. Si elle se montre tout à fait heureuse de ses deux prix, cette enseignante à la retraite savoure peu à peu, à petites doses, cette reconnaissance. Comme si subsistait, malgré tout, une certaine crainte que tout ça ne soit pas vrai, au bout du compte. "Ces prix ont deux revers pour moi, confie celle qui écrit depuis plus d’une vingtaine d’années. C’est certain que ça donne une belle visibilité, mais aussi, je crois, une certaine attente de la part du public. Et puis, je vois mon roman autrement maintenant. Je me dis: "Comment j’ai fait pour écrire ça?"" "Ça", c’est l’histoire de Paul, un jeune homme désemparé, mésadapté parce que mal-aimé. C’est aussi l’histoire de sa mère, Léa, femme désœuvrée qui n’a pas réalisé ses rêves. Portée par le Je de Paul, le narrateur, l’écriture laisse entendre une voix particulière. Dès la première phrase, le rythme happe le lecteur. Au fil des mots, des images se dessinent et s’imposent de toute leur force. "Je voulais rendre compte de la tristesse de cet enfant, qu’on entre dans sa tête. Et que, malgré la gravité du propos, les lecteurs se prennent d’amour pour ce personnage", raconte l’auteure. "C’est comme si j’avais besoin d’un Je masculin pour parler d’elle, pour avoir la distance nécessaire pour pouvoir le faire", poursuit-elle aussi.
Le chemin parcouru par le manuscrit de départ, jusqu’à la consécration du roman, n’a pas été de tout repos. Terminé en 2000, il a été refusé par plusieurs éditeurs avant d’aboutir dans le tiroir de son auteure… pour n’en ressortir que quatre ans plus tard, subir quelques remaniements bénéfiques et se faire expédier au Prix Robert-Cliche. "Quand on m’a appris que c’est mon texte qui avait remporté le prix, je n’y croyais pas… jusqu’aux dernières retouches et à l’envoi à l’imprimeur!" s’exclame la dame visiblement encore tout épatée de l’aventure. Pour le prix du Salon du livre, la joie est aussi grande et l’assurance un peu plus présente. La réception de l’œuvre de la part du public et des critiques, fort positive dans son ensemble, y étant probablement pour quelque chose.
En plus de ce roman, Reine-Aimée Côté a publié un recueil de nouvelles, Le Bal des miséreux, en 1996 – "C’est ce qui, probablement, a déclenché cette certitude de vouloir écrire", dira-t-elle. Elle a aussi fait paraître un recueil de poésie, Haillons de lune, en 1997. On pourra la rencontrer au stand 33, celui de VLB.
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ESSAI
Gérard Bouchard Photo: Steven Ferlatte |
En fait, pour les prix du Salon du livre, la catégorie Essai n’existe pas. C’est plutôt le Prix Intérêt général qu’à remporté Gérard Bouchard, pour son essai intitulé La Pensée impuissante et sous-titré Échecs et mythes nationaux canadiens-français (1850-1960). Si ma première interlocutrice se prêtait au jeu de l’entrevue avec un sérieux amusé et un rien inquiet, comme si, justement, toute cette affaire de prix n’était qu’un jeu qui allait peut-être se terminer bientôt, l’homme géant que j’avais maintenant devant moi avait la parole preste et facile de quelqu’un qui en a vu bien d’autres. Sociologue, historien, nouvellement romancier, Gérard Bouchard a été plusieurs fois récompensé pour ses écrits. Les prix, il connaît. Titulaire, à l’UQAC, de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires collectifs, il inscrit ce récent essai dans la lignée de ses travaux sur les cultures nationales dans les nouvelles collectivités, tout particulièrement au Québec. Ce nouvel opus, il l’a en tête à la virgule près et les mots pour le dire lui viennent plutôt aisément merci. C’est avec beaucoup d’aplomb, et de bienveillance, qu’il entreprend de résumer l’essentiel de La Pensée impuissante, de façon on ne peut plus claire et structurée. Ici, l’espace manquant, vous aurez droit à un abrégé du résumé!
Le tout débute par une constatation: le Québec autour de 1840 est une société à peine émergente aux prises avec plusieurs problèmes importants de développement, typiques des sociétés coloniales – la mortalité infantile, par exemple, le retard en scolarisation ou encore les salaires de misère. "Avec l’idée qu’il se passait certainement quelque chose d’important dans l’imaginaire collectif, je me suis demandé quelle structure de l’imaginaire accompagne ce genre de société", explique le chercheur. Pour ce faire, il se penche non seulement sur les idées d’un groupe de penseurs influents parmi les Canadiens français, mais surtout, il décortique la façon dont ces idées se structurent. L’analyse prend les contradictions pour point de départ. Comment les auteurs se comportent-ils devant la contradiction? De quelles façons entreprennent-ils de les surmonter, ou de s’en accommoder? En se servant de certains mythes au degré d’efficacité variable, comment construisent-ils leur argumentation de façon convaincante, au regard de cette contradiction? Voilà les questions de base auxquelles s’est attardé Gérard Bouchard afin de construire la grille d’analyse lui permettant de décortiquer les discours d’intellectuels considérés comme les plus importants de leur époque. La période cernée est contenue entre deux événements majeurs de la courte histoire de notre société: l’échec des rébellions et l’aube de la Révolution tranquille. La Révolution tranquille amènera ensuite plusieurs changements de société qui vont de pair, note Gérard Bouchard, avec un changement de la structure de la pensée. Tout comme sa parole, l’écriture de l’essayiste est savante, mais limpide, érudite et passionnante.
Avec cet essai et son dernier roman, Pikauba, Gérard Bouchard sera au stand 88, celui des Éditions du Boréal.
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JEUNESSE
Yves Ouellet Photo: Steven Ferlatte |
Yves Ouelllet
est aussi un habitué des prix littéraires. Ses beaux livres, à saveur touristique, un brin historique, consacrés tantôt au fjord, au lac, à la région dans son ensemble, au fleuve, et à quoi d’autre – il y en a tant! -, n’ont pas fini de nous faire du charme. Souvent, le souriant monsieur opère en duo avec le photographe Alain Dumas. Ensemble, l’un par le texte, l’autre en images, ils y causent de voyage, de plein air, de grands espaces, de paix et de beauté. D’une année à l’autre, voir leur petit dernier rafler le Prix Intérêt général n’étonne personne. Cette fois, c’est différent. Yves Ouellet dans la catégorie Jeunesse? Pour un roman? "C’est vrai que ce Prix Jeunesse, c’est un peu particulier, sourit le principal intéressé, parce que les gens me voient tellement dans les trucs de plein air, de beaux livres… Mais ils savent aussi que je suis capable de raconter une histoire." L’histoire de L’Enfant des glaces, tout le monde la connaît. Peut-être vous en souvenez-vous… On en avait un peu causé lors de sa sortie juste avant Noël l’an dernier. C’est effet la Nativité revisitée. Une Nativité à Rivière-Éternité, sur les bords d’un Saguenay glacé, dominé par le fjord imposant, dans la tourmente d’un hiver comme seule la région sait en fabriquer. Quand on y pense, ce décor n’est pas tellement éloigné de celui des œuvres précédentes de l’auteur. "En fait, c’est relié à tout ce que j’ai fait sur le fjord du Saguenay! J’avais déjà tout: les lieux, l’ambiance, le décor, les légendes… J’ai voulu raccrocher le plus de choses réelles aux éléments fantastiques et aux héros légendaires du fjord. Comme dit Michel Tremblay: "Plus c’est local, plus c’est universel"!" Mais pourquoi, justement, la Nativité? "À cause de mon lien avec l’exposition de crèches de Rivière-Éternité, explique le consultant en tourisme. On m’avait demandé d’écrire un texte pour un spectacle de Noël, avec les enfants…" De fil en aiguille, ce texte est devenu un roman jeunesse, finement mené, dont les dessins de toute beauté de Benoît Savard illustrent doucement l’histoire universelle. "J’ai de grands projets pour ce livre, s’emballe l’auteur. Je ne veux pas qu’il ait seulement une vie de livre. Je le vois très bien en dessin animé. Je pense aussi à un concert de Noël avec l’Orchestre symphonique…" Voilà. C’est fort probablement un éventuel rendez-vous.
Vous pourrez rencontrer Yves Ouellet, qui vient aussi de terminer un autre beau livre – dont il signe cette fois texte et photos – sur la motoneige au Québec, au stand 79, celui des Éditions Pierre Tisseyre.
Ma journée littéraire se termine, me laissant un peu esseulée, après ces rencontres nourrissantes avec les auteurs et leurs mots. Tiens, je dévorerais bien un petit bouquin, moi.
Pour plus de détails concernant les heures de signature, consultez la programmation officielle sur place au Salon, dans le dépliant, ou encore sur le site www.salondulivre.ca.
Les Bruits
De Reine-Aimée Côté
VLB, 2004, 157 pages
La Pensée impuissante
De Gérard Bouchard
Boréal, 2004, 319 pages
L’Enfant des glaces
D’Yves Ouellet
Pierre Tisseyre, 2004, 63 pages
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Deux autres gagnantes, dans deux autres catégories, ne méritent pas d’être laissées pour compte:
Prix Poésie: Kim Doré, pour son recueil Le Rayonnement des corps noirs, publié aux Poètes de brousse.
On peut la rencontrer au stand 17 et lors de diverses rencontres, entrevues et soirées de poésie à l’horaire.
Prix Récit : Marité Villeneuve pour Je veux rentrer chez moi, aux éditions Fides. Elle sera présente, entre autres activités, au stand 92 pour des séances de signature.