Michel van Schendel : Poèmes de résistance
Depuis 1958, le poète Michel van Schendel tisse une œuvre singulière qui tente de reconnaître et de porter le monde. Il vient de publier Mille pas dans le jardin font aussi le tour du monde et nous en parle.
"C’est un poète qui parle, mais aussi un homme qui est au courant, ou qui tente de l’être au maximum, de l’histoire de son temps et de sa perfusion avec d’autres temps." Michel van Schendel, en parallèle avec une carrière importante de professeur, a réussi à articuler une vision du monde à travers ses livres qui sont, pour l’essentiel, des recueils de poésie. Loin de la nostalgie, ses livres, particulièrement ses derniers, placent le poétique, la parole, dans la mémoire et l’avènement. Après la lecture du dernier poème en vers du recueil, qui parle d’un regret, van Schendel commente l’extrait en faisant la lumière sur tout un livre, toute une œuvre: "Ça défend la mémoire, pas la devise. Ça fait la distinction dans le poème, une distinction importante. Ça oppose donc la consigne du souvenir à la mémoire. La mémoire, c’est la vie même, le vif. La mémoire, c’est toute notre vie. Ce n’est pas seulement notre vie en-deçà de nous, c’est notre vie au-delà de nous, c’est notre parcours qui continue, même malgré la mort. Ce n’est pas du tout une proposition de croyant: je suis un incroyant radical. C’est une proposition de vivant. Le vivant ne peut pas faire autrement que d’avoir la mémoire, non seulement de ce que lui a fait, et de ce que lui est en train de faire, mais nécessairement, s’il est en train de le faire et de le poursuivre, c’est avec d’autres. Voilà pourquoi la mémoire est une solidarité."
Michel van Schendel n’a jamais pensé seul dans son coin. Tant comme professeur que comme écrivain ou intellectuel, il n’a cessé de se prononcer sur un monde qu’il observe, certes, mais auquel il participe et dont il ne peut faire autrement que de rendre compte: "Mes livres ont été alimentés par la série d’événements que nous vivons, par la conjoncture, par la situation internationale, par des dérives idéologiques de tout acabit. Je suis un homme de mon temps. C’est pourquoi il y a une continuité de ce livre-ci aux livres précédents, notamment Choses nues passage (l’Hexagone, 2004). Mes livres sont pris dans un ensemble, mais s’il y a une continuité: c’est la résistance. J’écris des poèmes parce que ce sont des éveils, j’écris des poèmes parce que c’est une résistance. Et ça, c’est vrai depuis le début, mais selon des modalités différentes." À propos de ses débuts: "Je n’écrirais certainement plus aujourd’hui Poèmes de l’Amérique étrangère (l’Hexagone, 1958), parce que j’ai beaucoup appris depuis et que je trouve tout ça assez naïf et inutilement romantique. J’ai essayé, tout au long de ces années de prendre distance, non seulement par rapport à moi, mais par rapport à des idées préconçues et à des réalités mal perçues par moi et par tout mon entourage."
À la vue d’une citation de Pétrarque, difficile de ne pas interroger le poète sur son influence: "Pas tant Pétrarque que tout le mouvement, celui qui va de Dante à Boccace, celui de la prérenaissance italienne. Parce que c’est l’éveil d’une conscience qui va jusqu’à l’éveil du doute. Ce sont des époques importantes, ce sont des nœuds dans l’histoire réelle, dans l’histoire poétique, dans l’histoire de la naissance du doute mais aux confluences d’une nouvelle influence orientale, ce qui n’est pas souvent nommé."
Le souffle a changé chez van Schendel, ses poèmes prennent beaucoup plus d’espace qu’autrefois pour respirer, tout en gardant des éclats, des fulgurances nécessaires pour rassembler une pensée et pour marquer le temps. "Je crois profondément à la respiration poétique, cette sorte de respiration que le poème invente, après coup ou sur le moment même de la respiration physique qui est obligé de réinventer et de réimplanter; c’est une véritable réimplantation de la respiration qu’est le poème." Plus que jamais, la rythmique de ses poèmes est près du temps qui court, tant grâce au sujet qui porte le souffle, que dans la forme qui s’ajuste aux temps qui s’agitent. "C’est en prise avec le temps que nous vivons. Et pour qu’il soit en prise, il faut le mettre en prise. Seul le poème peut le faire. Le poème est seul en mesure de faire face à l’imprédictibilité du temps actuel, à sa nécessité la plus douloureuse de toutes, et à la nécessité de le percevoir et pour ça, de le combattre. Pas de combattre tout le temps, parce que par ce combat même s’aperçoit la possibilité d’aborder un autre temps; voilà ce que fait le poème, il aborde la possibilité d’un autre temps."
Mille pas dans le jardin font aussi le tour du monde
de Michel van Schendel
l’Hexagone 2005, 216 pages.