Daniel Sernine : Retour vers le futur
Livres

Daniel Sernine : Retour vers le futur

Quand Daniel Sernine a écrit Les méandres du temps, il ne pensait pas qu’écrire la suite lui prendrait 22 ans. Mais comme on le découvre à la lecture des Archipels du temps, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Pour comprendre l’histoire derrière la création des Archipels du temps, il faut remonter à la réédition des Méandres du temps par Alire, en 2004: "Quand j’ai remis le manuscrit des Archipels aux Éditions Alire, il y a maintenant trois ans, l’éditeur a jugé qu’il fallait rééditer Les Méandres du temps pour bien en comprendre le contenu", résume l’auteur, également directeur littéraire de la collection Jeunesse Pop des Éditions Médiaspaul et directeur de la revue Lurelu. Daniel Sernine s’est donc mentalement préparé à faire beaucoup de réécriture, mais à sa grande surprise, son roman écrit à la fin des années 70 tenait encore très bien la route: "J’ai changé des mots, corrigé des coquilles, modifié un flashforward, une vision que Nicolas Dérec a à la fin du roman, et puis ça y était", se souvient-il.

Évidemment, lors de la première édition des Méandres du temps en 1983, l’écrivain croyait que Les Archipels du temps verrait le jour rapidement, mais le roman de science-fiction a finalement été en chantier pendant 22 ans avant de voir le jour dans sa forme actuelle. Et encore, certains chapitres ont été écrits en 1981, avant même la parution du premier épisode de ce qui deviendra une trilogie lors de la publication, à l’automne 2006, du livre intitulé Les Écueils du temps.

HÉROS MALGRÉ LUI

Les trois romans racontent les aventures du "métapse" Nicolas Dérec, qui s’étalent sur plusieurs décennies. Dans le premier roman, on découvre ses pouvoirs psi et on comprend pourquoi il choisit de fuir l’asservissement auquel il est soumis sur Terre pour aller vivre sur Érymède, une société très évoluée établie sur un astéroïde, et qui a pour mission de surveiller les humains – et quand le besoin s’en fait sentir, de les protéger d’eux-mêmes.

Dans Les Archipels du temps, on retrouve Nicolas alors qu’il étudie à l’Institut de Métapsychique. Le jeune homme hésite encore à suivre sa destinée, qui est de devenir "métapse" dans l’espoir de prévenir l’accomplissement de la Prophétie des Lunes (c’est-à-dire une guerre interplanétaire entre les éryméens et les humains), annoncée par le "métapse" Karel Karilian dans Les Méandres du temps. Suite à un événement tragique, Nicolas décide finalement de devenir "métapse", et d’utiliser ses pouvoirs de précognition et de voyance pour sauver la race humaine. Un difficile contrat qui l’amène à faire des rencontres marquantes, et à vivre de nombreuses péripéties, décrites avec une impressionnante acuité.

Évidemment, Sernine a disposé de nombreuses années pour développer l’univers d’Érymède, un cycle qu’il a visité au fil des ans dans des dizaines de romans jeunesses et des nouvelles. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’auteur affirme que l’intrigue de ses nombreuses histoires de science-fiction (il est également l’auteur des cycles de Neubourg et Granverger, qui sont au centre de romans et nouvelles fantastiques) se déroule à Érymède par manque d’imagination: "On fait beaucoup de gestion d’univers en science-fiction, et je trouve que je n’ai pas suffisamment d’imagination pour en construire plusieurs. Je voulais qu’Érymède soit le plus cohérent possible, et je n’ai pas du tout l’impression de l’avoir épuisé. Je ne suis pas un de ces auteurs débordant d’idées. Je pense par exemple à l’écrivain de fantastique Clive Barker. On trouve des idées fortes dans presque toutes les pages de ses romans, c’est presque du gaspillage", remarque en riant l’auteur de Boulevard des étoiles, paru en 1991.

Sernine "manque" peut-être d’imagination, n’en reste pas moins que ses descriptions, qu’il s’agisse du paysage d’Érymède ou des technologies développées par les éryméens, sont tellement précises que les chapitres des Archipels du temps défilent sous nos yeux tels des films. L’auteur met la force de ses descriptions sur le compte de ses connaissances en astronomie: "Je n’ai pas de formation scientifique en astronomie parce que je n’étais pas bon en mathématiques, mais si ça n’avait pas été le cas, je serais peut-être devenu astronome ou architecte. Cela dit, même sans avoir étudié l’astronomie, j’ai développé une importante culture scientifique". Un intérêt qui s’étend aux problèmes environnementaux, dont il est amplement question dans Les Archipels du temps, notamment lorsque Nicolas retourne sur la Terre et constate le piètre état de la planète bleue.

Quelques semaines après l’ouragan Katrina, on a presque envie de dire que Les Archipels du temps n’est pas seulement un roman de science-fiction, c’est également un roman d’anticipation qui fait craindre le pire: "Effectivement. Il faut d’ailleurs que je m’empresse de publier le prochain roman, car j’ai un peu l’impression que la réalité est en train de nous rattraper! Je ne peux pas croire qu’après Katrina, il va encore y avoir des gens pour douter du phénomène de réchauffement de la planète", commente Sernine.

Selon lui, les auteurs de SF refusent généralement de se dire prophètes, par contre, quand ils sont justes dans leur lecture de l’air du temps, ils sont très contents de leur coup. Il admet cependant que c’est facile d’anticiper le futur lorsque, comme lui, on s’intéresse à la culture scientifique: "Ça fait quand même depuis les années 70 qu’on perçoit qu’on s’en va dans une mauvaise direction. Les travaux du Club de Rome, à l’époque, ont été les premiers à évoquer l’épuisement des ressources naturelles", mentionne celui a qui l’on doit aussi le roman Chronoreg, réédité en 1999.

Une potentielle guerre entre les éryméens et les humains est au centre de l’action, donc, mais ce n’est pas le seul élément d’intérêt. Le cheminement de Nicolas au sein d’une nouvelle société, et le fait qu’on le voit tranquillement vieillir, sont aussi des éléments intéressants. Réussira-t-il à prévenir la guerre entre les deux peuples? Rien n’est moins certain. Surtout lorsqu’il réalise qu’une taupe issue de son passé s’est infiltrée sur sa terre d’adoption, et qu’il n’en tient qu’à lui de la démasquer avant qu’il ne soit trop tard. Sernine n’est pas seulement habile dans la construction d’univers, il est aussi passé maître dans l’art de mettre en scène des personnages attachants, dans un roman au suspense foisonnant. Quand on pense que dans Les Écueils du temps, Nicolas devra prévenir l’extermination de l’humanité, on ne peut s’empêcher d’attendre la suite avec impatience.

Les Archipels du temps
Éd. Alire
2005, 530 p.