Manon Tremblay : Sièges inoccupés
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Manon Tremblay : Sièges inoccupés

Manon Tremblay mène un combat depuis plusieurs années afin de sensibiliser ses compatriotes à la question des femmes en politique. Rencontre à la suite de la publication de Femmes et parlements: un regard international, ouvrage qu’elle a  dirigé.

À l’issu d’une conversation entre une auteure (Manon Tremblay) et une éditrice (Ginette Poliquin – Éditions du Remue-Ménage), une aventure grandiose s’amorce. Celle de lancer des invitations à des spécialistes en politique aux quatre coins du monde afin de faire le point sur la représentation parlementaire des femmes à l’échelle internationale. Presque quatre ans plus tard, Femmes et parlements voit le jour, explorant les thèmes de la représentation des femmes dans les parlements nationaux et des mobilisations du mouvement des femmes dans un vaste échantillon de 37 pays sur les 5 continents. "C’est un projet qui a engendré beaucoup de défis: de trouver des gens préférablement sur le terrain, ça n’a pas toujours été possible", explique Manon Tremblay, qui est professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, où elle dirige le Centre de recherche sur Femmes et politique.

"Si les femmes ont peu à peu, au cours du siècle dernier, obtenu le droit de vote et le droit de se présenter aux élections, pourquoi n’occupent-elles aujourd’hui que 15 % des sièges dans les parlements du monde, malgré leur poids démographique? Comment augmenter cette moyenne pour atteindre une représentation équitable?" Ces questions, qui se trouvent en quatrième de couverture, ont servi de prémisses pour cet ouvrage.

Divisé en autant de chapitres que de pays traités, le livre est rédigé à plusieurs mains, chacun des chapitres étant le fruit du travail d’un spécialiste de la question, en plus de présenter une fiche descriptive du pays concerné.

DES CHIFFRES ET DES FEMMES

Parmi les plus bas taux de représentation des pays étudiés, il y a l’Égypte où il se chiffre à 2,9 % et au Bangladesh à 2 %. Le plus haut taux fut une grande surprise pour Manon Tremblay, qui n’avait pas prévu ce pays à sa liste. "Le cas du Rwanda s’est imposé de lui-même. Lorsque j’ai vu qu’il y avait 49 % de femmes à la Chambre des députés, ça m’a paru incontournable qu’il y ait un chapitre sur le Rwanda. Ce genre de pourcentage, on s’y attend du côté des pays nordiques qui ont des mentalités égalitaires, mais au Rwanda, c’est assez inusité. La collaboration avec Elizabeth [Powley, auteure du chapitre sur le Rwanda] a été très enrichissante."

Bien que très fructueuse, l’aventure a aussi été un rappel brutal pour Manon Tremblay: "C’est malheureux de constater qu’en 2005, les femmes constituent toujours des citoyennes de seconde catégorie. Actuellement, les femmes occupent à peu près 16 % des parlements à travers le monde, ce qui n’est pas énorme. Ce qui veut dire que les hommes ont 84 % et, donc, qu’ils monopolisent une bonne partie de la représentation politique."

Ces constats ont bien sûr engendré plusieurs questionnements sur les raisons de cette insuffisance et plusieurs éléments doivent être pris en considération pour y répondre, selon elle. "S’il y a des gens qui croient en l’égalité, du moins formelle, c’est bien nous au Canada avec notre charte et tout. Et pourtant il y a 21 % de femmes à la Chambre des communes. C’est bien, mais il faut plus que ça", note l’auteure qui a fait récemment paraître Québécoises et représentation parlementaire aux Presses de l’Université Laval.

Selon l’auteure, un des éléments présents dans presque tous les pays est la réticence des partis politiques à ouvrir la porte aux femmes, fait qui se constate notamment dans les méthodes de choix des candidates. "Les partis sont des cliques fermées, il ne faut pas se le cacher. En général, les candidats militent pendant des années avant de décrocher une investiture. Or, une grande majorité des femmes, dans la plupart des pays, ont plus de difficulté à avoir les ressources économiques pour développer de tels réseaux, elles ont moins de temps, moins de capital social pour se retrouver en haut des listes."

Son étude a aussi mené à une question qui est au cœur des préoccupations liées à la problématique: est-ce que les femmes changent la face de la politique?

"J’aime bien utiliser cette image de la mère Teresa qui va arriver, qui va tout nettoyer, qui va faire de la politique purement par altruisme… Bon, il y a des hommes qui font ça, mais il y a encore ce préjugé qui reste accolé aux femmes d’être plus tournées vers le social, vers l’humain… Apparemment, c’est parce qu’elle donne la vie, alors on établit ce lien entre maternité et maternage social. Des études américaines tendent à démontrer que les femmes vont toujours être un peu plus à gauche que les hommes. Mais il y a des hommes au Nouveau Parti démocratique qui vont être bien plus à gauche que les femmes… En somme, le sexe, le genre est important, c’est une variable qu’il ne faut pas négliger, mais elle n’est pas déterminante."

En guise de conclusion, Manon Tremblay expose quelques pistes de solution: "Le mode de scrutin est une variable secondaire à mes yeux en ce qui a trait aux différentes stratégies que l’on peut mettre en place. L’élément fondamental pour qu’il y ait plus de femmes en politique, c’est que les partis politiques s’ouvrent aux femmes. Si les partis ne veulent pas avoir de femmes, il n’y en aura pas, le cas de la France à titre d’exemple est probant. Deuxièmement, il faut que le mouvement des femmes se mobilise sur le terrain électoral. À la limite, je dis peu importe le mode de scrutin, si les partis politiques veulent des femmes, il va y en avoir. Il faut simplement que les femmes dans la société civile interpellent les partis politiques, qu’elles s’investissent dans les partis…", s’exclame-t-elle. Cet ouvrage est sans contredit un outil incontournable pour toute personne qui s’intéresse de près ou de loin à cet enjeu politique.

Femmes et parlements: un regard international
Sous la direction de Manon Tremblay
Éd. du Remue-Ménage, 2005, 672 p.