Élise Turcotte : Sonate à la lune
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Élise Turcotte : Sonate à la lune

Élise Turcotte nous convie à un concert secret, celui de Piano mélancolique, un opus de poèmes accueillant la nuit, sa turbulence et ses apparitions.

Depuis bon nombre d’années, Élise Turcotte apparaît pour plusieurs comme une des rares valeurs sûres en littérature québécoise. Avec près d’une dizaine d’ouvrages poétiques à son actif, un recueil de nouvelles, trois romans, un lot considérable d’œuvres jeunesse, l’écrivaine circule entre les genres avec une aisance peu commune. Or, au cœur de cette production, la poésie constitue sa terre d’ancrage. Cela se décèle jusque dans son écriture de fiction où le même désir domine, celui d’éclairer l’ailleurs des mots, celui d’effacer les contours du réel. Elle nous revient cet automne avec Piano mélancolique, un livre de poèmes marqué par les multiples énigmes et vertiges d’une nuit intérieure.

Sur la couverture, une reproduction d’une œuvre de Marc Séguin: une forêt opaque, un ciel travaillé par le brouillard, un paysage de fable noire. On pourrait presque aller jusqu’à dire que ce panorama s’étend derrière les lignes du recueil, un opus profondément crépusculaire, divisé en cinq mouvements: La nuit parle, N’emporte rien avec toi, Mon père avec un avion, Hôtel Éternité et Autoportraits. On y entre pour découvrir la voix d’une femme qui "souffle dans cette nuit / comme sur un rideau de souvenirs", "nue comme un poème écrit / par la pénombre". Outre la présence du passé qui se tresse au présent, celle de l’homme aimé, ce "tu", complice de minuit. La femme parle seule, pour elle, et à lui, pénétrée de fréquences étranges, de désir, d’éclairs de conscience. Le poème devient alors un concentré lapidaire d’appels ou de visions: "Nuit fébrile comme un tiraillement / d’atomes. / Surprise par l’odeur de neige. Par le / rêve usé qui revient. / Tes doigts crépitent, tu ne parles / plus. / La porte du malheur est introuvable."

Une mort est là, charnière, qui rôde à l’intérieur de cette femme, celle du père. Il faudra partir, l’évoquer "sans parler d’éternité", en cherchant "un motif fragile, / un relief aussi précis qu’un visage / aimé". On se retrouve alors au Mexique, dans un théâtre d’apparitions reconduisant la narratrice au cœur de la perte. Maintenant en prose, les poèmes de Mon père avec un avion se déploient en micro-récits d’errance. La voix de la femme absorbe du réel tout ce qui pourrait répondre à une question impossible: comment entrer dans la mort? Autant le silence des cieux que les rencontres fantômes plongent l’étrangère dans le mystère tacite incrusté dans son corps: "À travers les étals, j’ai cherché la chose qui rendrait ma vie plus vraie que le sang qui coule dans mes veines. Mais je suis vite devenue aussi lourde qu’une dalle de marbre protégeant mon secret."

Traversée du désert et des ombres, Piano mélancolique nous expose une voix sensuelle, calme et chavirée, éprise de l’inconnu. Il faut le comprendre: Élise Turcotte entretient l’image et le mot juste comme d’autres leur jardin. Ce qui fait de ce livre une véritable galaxie d’épiphanies, rappelant à sa manière que le noir n’est pas le néant, mais la somme de toutes les couleurs.

Piano mélancolique
d’Élise Turcotte
Éd. du Noroît, 2005, 88 p.