Robert Lalonde : L'âge ingrat
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Robert Lalonde : L’âge ingrat

Si Robert Lalonde ouvre un peu les portes du collège de son adolescence, c’est pour ouvrir grand celles de la zone fragile qui sépare l’enfance de l’âge adulte, antichambre où les rêves d’avenir émergent, se rompent, guérissent lentement pour de nouveau déployer leurs ailes. Entretien.

"On a treize ans. Le collège est une prison, où on n’apprend que des connaissances mortes. On ne s’en échappe parfois que pour aller passer quelques jours à la maison, au fond de la baie, près des Trois Pins." Ces mots, placés en quatrième de couverture, sonnent comme un avertissement. Bienvenue dans le quotidien troublé d’un adolescent… Un contrat de lecture qui pourrait rebuter, mais le roman est signé Robert Lalonde, alors on plonge.

L’auteur du Monde sur le flanc de la truite (1997), Le Vaste Monde (1999) et tant d’autres livres où le passé devient un fabuleux territoire de fouille nous convie maintenant à ses années de pensionnat. Phase cruciale, durant laquelle apprentissage de notions "mortes", quête éperdue d’amitié ou d’amour et un lourd secret intime fissurent le peu de certitudes qui charpente la jeune existence de son narrateur. Alors, quand la vie resserre son étau, ce dernier cultive l’art de la fuite, suivant en rêverie l’aile d’un oiseau, les courbes d’une plante sauvage ou le souvenir d’une fille. Ou encore gribouille des poèmes incertains dans les marges de ses Lagarde et Michard.

MOUVEMENT LENT

Le romancier, que l’on sait prolifique, a mis un temps fou à terminer Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?. "J’ai commencé à l’écrire quand j’avais 25 ans! Puis je l’ai mis de côté. À 35 ans, j’ai tenté de le finir, pour le mettre encore de côté. Même chose à 45 ans… J’avais alors trois versions du livre, dont aucune ne me contentait. Je trouvais ça trop complaisant, ou encore je tombais dans un vaste portrait de ce qu’était la vie au collège, ce qui ne rejoignait pas mon projet principal. Je voulais dire davantage."

Comme bien souvent dans les processus de création, il aura fallu un détonateur… "Il y a deux ans, j’ai une fois de plus voulu y travailler, et là, je n’ai retrouvé aucun manuscrit! Aucune des versions! Mon hypothèse est que c’est parti avec certains documents cédés au Patrimoine, à un certain moment. Je ne sais plus très bien. J’ai tout de même remis le doigt dans l’engrenage et, étonnamment, ça a filé à une vitesse vertigineuse. Je n’ai jamais tant écrit, écrit si vite." Il faut dire qu’autre chose était survenu, peu avant. "Avec la mort de ma mère, une barrière est tombée. Parce qu’évidemment, il y a au centre de ce livre un terrible secret de famille."

Robert Lalonde nous donne aujourd’hui son livre le plus autobiographique – bien qu’il s’agisse d’un roman -, montrant jusqu’aux traits les plus sombres de son passé, ceux qui entourent les gestes incestueux de son père, cauchemar répété qui brise trop souvent les échappées vers la maison familiale. Or, ce qui colle à la vie réelle de l’écrivain prend au fil des mots une envergure folle, atteint au propos universel. D’ailleurs, loin d’être ce bouquin dans lequel certaines des premières personnes informées voyaient des pages étouffantes, ne s’adressant qu’à un public restreint, le résultat montre ce que partagent tous les adolescents: une crise devant ce qui ressemblait à un repère mais soudain tombe en poussière.

Des pages qui lancent continuellement le lecteur, donc, sur les sentiers de son propre passé. "Je ne suis pas très tenté par l’autobiographie, moi, et ce qu’on appelle autofiction, qui suscite toutes ces questions du genre "est-ce que ceci est vrai?", "est-ce que cela est inventé?", ne m’intéresse pas vraiment. En revanche, faire de son expérience une matière littéraire, qui évoque des choses que chacun vit d’une manière ou d’une autre, ça, ça me paraît intéressant." Le mot est faible…

Montrant ce qui cause les crises affectives les plus aiguës, mais aussi les mensonges qui peuvent faire la désillusion complète d’un jeune devant les prétendues avancées de sa société, Robert Lalonde signe l’un de ses meilleurs titres, qui remue le lecteur dans les profondeurs de ce qu’il est, c’est-à-dire ce qu’il a été moins quelques liens défaits.

Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?
de Robert Lalonde
Éd. du Boréal, 2005, 158 p.