Matthieu Garrigou-Lagrange : Moi et l’autre
Matthieu Garrigou-Lagrange, jeune romancier français, risque une timide incursion dans l’univers des adolescents aux prises avec le mal de vivre.
Ensuite, avenue d’Auteuil
s’ouvre la nuit sur le bord de la Seine, où Thomas célèbre seul son quinzième anniversaire, perché sur le toit de la Maison de la Radio. C’est que, enlaidi par un bec de lièvre qui suscite l’indifférence de la jolie Astrid et de sa propre mère, qui lui préfère son frère aux traits d’Adonis, Thomas doit subir la méchanceté d’élèves de son lycée alors qu’il entre dans l’adolescence. Autour de lui gravite la "faune urbaine" pas très dangereuse du seizième arrondissement. Cyprien, meilleur ami de Thomas, avec qui il s’initiera au "shit", au "skate" et au "roller", et qui se révélera amoureux de lui, est assez lucide pour savoir qu’il faut continuer "à bien jouer les petits garçons avec les grandes personnes". Franck, lui, a grandi dans un HLM de banlieue et est un dealer de drogue sans envergure, qui entretiendra une liaison avec la mère de Cyprien après être entré chez elle par effraction.
Avec une quatrième de couverture qui annonce rien de moins qu’un "portrait de la génération des 15-20 ans d’aujourd’hui", le livre de Matthieu Garrigou-Lagrange, chroniqueur à France Culture, a le défaut des premiers romans qui tâtent d’un peu toutes les tendances à la mode sans en investir aucune à fond. Il y a d’abord la langue, en apparence orale, mais qui finit par être trop bien écrite, ne s’appropriant qu’un modeste brin d’argot, puis cette multiplication convenue des narrateurs, qui s’expriment tous de la même manière et dont les points de vue ne s’opposent que superficiellement. Les courts épisodes "trash" sont trop peu audacieux et convaincants pour faire date: une scène nous montre Thomas qui perd sa virginité dans une pathétique réunion échangiste; d’autres, Cyprien et lui se livrant à de (légères) séances d’automutilation. Bien qu’on puisse reprocher à certains écrivains leur volonté racoleuse d’en mettre plein la vue, Ensuite, avenue d’Auteuil, avec sa tendance à n’aller que timidement dans toutes les directions, se révèle nettement moins percutant que d’autres œuvres récentes consacrées au désarroi adolescent, de Chimo (Lila dit ça) à Benjamin Lebert (Crazy).
Le récit de Garrigou-Lagrange suit pourtant une ligne directrice assez crédible dans sa peinture d’une jeunesse petite-bourgeoise totalement obsédée par son image et par un code vestimentaire en constante mutation, reflet parfait du monde d’apparences dans lequel évoluent les adultes. Parmi ceux-ci, la mère de Thomas, qui affiche un dédain troublant face à la laideur de son fils, ira jusqu’à lui offrir une opération de chirurgie esthétique. Sa volonté d’être considérée comme "trop cool" par les amis de ses enfants et son questionnement à savoir si elle mange suffisamment bio ne sont pas si étrangers au narcissisme adolescent auquel succombera Thomas lorsqu’il découvrira les nouvelles lèvres "presque grecques" que lui a offertes sa mère. Dans un monde où les adultes sacrifient tout pour prolonger le plus possible une jeunesse perdue, leur progéniture comprend assez rapidement que du regard de l’autre dépendent la plupart des rapports interpersonnels. Comme l’observera Thomas dans un de ses élans lyriques: "le monde d’un côté, moi de l’autre, une grosse vitre entre les deux".
Ensuite, avenue d’Auteuil
de Matthieu Garrigou-Lagrange
Éd. Albin Michel
2005, 248 p.