Marie-Paule Villeneuve : Du soufre et des étincelles
Avec Les Demoiselles aux allumettes, Marie-Paule Villeneuve fait revivre un pan peu connu de notre histoire, celui de l’émergence du mouvement ouvrier avec la fondation du premier syndicat catholique québécois.
Après avoir fouillé le sujet de l’exploitation des enfants dans les usines de cigares au XIXe siècle dans son premier roman historique, L’Enfant cigarier, Marie-Paule Villeneuve s’attaque aux conditions déplorables des travailleuses du début du siècle. C’est à force de marcher sur le pont des Chaudières, pour se rendre à son travail de journaliste alors qu’elle habitait Hull, que cette diplômée en histoire et en philosophie s’est penchée sur cette histoire des allumettières qui travaillaient pour la Eddy Match dans les années 20. "J’ai toujours été intéressée par l’histoire du mouvement ouvrier parce que, finalement, ce sont ces mouvements qui font avancer les sociétés, pas les politiciens, pas les lois que l’on vote – qui viennent toujours après", explique l’auteure, qui m’a conviée dans un restaurant de la rue Eddy.
Ainsi, son roman ouvre une fenêtre sur une fabrique d’allumettes où 200 gamines et jeunes demoiselles peinent dans des conditions de travail déplorables. Parmi elles, la contremaîtresse Donalda Charron, grande revendicatrice, milite pour améliorer leur calvaire quotidien. "Il y avait quelque chose de fascinant dans la fabrication des allumettes, dans l’histoire d’E.B. Eddy lui-même et dans la ville de Hull. J’ai voulu faire revivre cette vie-là, et surtout faire comprendre l’histoire du Québec, parce que c’est à Hull qu’on a fondé le premier syndicat catholique québécois."
Des cendres du grand feu de 1900 qui dévasta la moitié de la ville de Hull est née Victoria, une héroïne au caractère bouillant, nommée non pas en l’honneur de la reine au pouvoir à ce moment-là, mais pour rappeler le nom de la pompe qui a aidé les sinistrés à se faufiler à travers les flammes ce fameux soir. C’est la guerre, l’argent manque à la maison, son père essaie de joindre les deux bouts, ses frères s’éparpillent: Victoria mettra en veilleuse ses propres aspirations. Contre son gré, elle commencera à travailler à la fabrique, comme l’a fait sa mère avant elle, y laissant sa santé. "Elle est rebelle et elle souffre de ce qu’on connaît aujourd’hui comme le syndrome prémenstruel. Autrement dit, deux, trois jours avant ses règles, elle pète les plombs, littéralement. On la traite d’hystérique, parce qu’on ne comprenait pas dans ce temps-là. Mais en même temps, ça lui donne une audace hors du commun, on ne sait jamais à quoi s’attendre avec elle", explique l’auteure, avec le débit rapide et enjoué qu’elle gardera pendant tout l’entretien, ajoutant que les femmes de l’époque ne travaillaient pas par choix et devaient remettre leur paie à leur famille.
"Eddy Match était une figure mythique. Le propriétaire américain exploitait vraiment les travailleurs, il avait une grande diversification de profits. Il a commencé par amasser des petits bouts de bois et a mis au point une formule de phosphore, et c’est comme ça qu’il a commencé avec sa femme à produire des allumettes. C’est après que ça s’est étendu. Il avait un bon sens des affaires."
Sous la bannière de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (aujourd’hui la CSN) fondée en 1921, les allumettières déclenchent une grève en 1924. Comme pour expliquer la fibre revendicatrice de la région, Marie-Paule Villeneuve ajoute: "Les ouvriers d’ici étaient très sensibles, d’autant plus qu’ils côtoyaient constamment des gens qui faisaient partie de l’Union internationale, qui étaient anglophones et qui avaient souvent la priorité." Les travailleuses de Hull étaient d’ailleurs les plus syndiqués au Québec à 55 % contre 3 % dans le reste de la province.
LES FLAMMÈCHES
Comme le premier roman de l’auteure, Les Demoiselles… est marqué par le déplacement, le mouvement, le voyage… "Je pense que c’est plus fort que moi. J’ai fait beaucoup de migrations régionales, j’ai travaillé à plusieurs endroits. C’est l’appel de l’ailleurs, on pense toujours que ça va être mieux ailleurs quand on est travailleur. C’est ce qui a fait avancer les mentalités, les déplacements des ouvriers, des socialistes… Un voyage qui maintenant peut durer trois semaines, les gens pouvaient y mettre trois ans dans ce temps-là. Ces migrations m’ont toujours fascinée, l’immigration canadienne-française, les rencontres…"
Faisant preuve d’une extrême rigueur historique, Marie-Paule Villeneuve ne laisse rien au hasard dans son roman. Son style s’est toutefois adouci, laissant de côté les détails superflus qui alourdissaient son premier roman, selon ses dires. Le nom de famille des personnages fictifs a été biffé. Dans le cas des personnages historiques, elle s’est attelée à une imposante recherche, qui l’a menée notamment au Massachusetts – là où se déroule la seconde partie de son roman, alors que Victoria rejoint un amour coupable, travaillant dans les filatures de Lowell.
Marie-Paule travaille présentement à un roman, contemporain cette fois, qui touche encore une fois le travail – sa source d’inspiration inépuisable. "Après, je vais revenir à l’histoire par contre, parce que j’ai des comptes à régler avec un autre secteur de travail, celui des mines. Ça va nécessiter beaucoup de recherches." Et on peut compter sur elle pour s’y consacrer corps et âme!
Les Demoiselles aux allumettes
De Marie-Paule Villeneuve
VLB Éditeur, 432 p.