Louis Caron : Mourir vivant
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Louis Caron : Mourir vivant

Louis Caron avec Il n’y a plus d’Amérique (2002) mettait fin à un cycle. Il s’affranchissait de l’étiquette de romancier historique pour conter tout simplement. Tête heureuse est la consolidation de ce changement de cap.

Louis Caron, calme, nœud papillon autour du cou, diverge de l’image typique du Nord-Américain. À des lieues des pires futilités, il mord dans chaque seconde que la vie lui offre. Ainsi, lorsqu’il parle, le temps est suspendu à ses lèvres. Les mots qu’il prononce, souvent accompagnés de longs silences, profitent de tout l’espace nécessaire pour s’exprimer. L’auteur de Nicolet précipite rarement les choses. Il préfère avancer à son rythme dans un projet et léguer un fruit mûr plutôt que d’accoucher d’un roman encore " vert". C’est pourquoi il hésite à se fixer des échéances. La période de gestation d’une bonne histoire varie toujours; le récit de Tête heureuse, une mère de 59 ans qui apprend qu’elle a une tumeur au cerveau et qu’il lui reste trois mois à vivre, aura dormi plus d’une vingtaine d’années dans ses tiroirs.

Bérénice, cette fameuse "Tête heureuse", a vécu ses premières aventures vers la fin des années 70 à la radio de Radio-Canada. Le romancier, à la demande du réalisateur de La vie quotidienne mettant en vedette l’animatrice Lizette Gervais, a créé une série de 26 épisodes de 15 minutes. "Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces 12 ou 14 minutes n’étaient pas écrites. Il n’y avait qu’une page titre par épisode: la mort du petit frère de Tête heureuse, le mariage de Tête heureuse, la mort du mari de Tête heureuse… Et pour chaque épisode, j’avais une phrase d’entrée et une phrase de sortie pour que le réalisateur sache où partir la musique. Et entre les deux, je racontais, j’inventais, se souvient l’homme à la chevelure de neige. À l’époque, j’avais tenté de faire une transcription romancée de ce récit, mais ce n’était pas bon. J’ai mis ça de côté. J’étais encore trop près du récit oral. Je n’arrivais pas à faire un roman avec ça. Mais je me disais toujours: "Un jour, je le ferai."" Un matin, l’heure du bon rendez-vous a sonné.

Reconnu pour ses romans à caractère historique, Louis Caron désire rompre avec le passé au début des années 2000. "Je sentais que mon cycle de romans historiques était fini. Je sentais que j’étais rendu à autre chose. Il n’y a plus d’Amérique a été une tentative maladroite de me relancer dans un autre mode d’écriture. C’est un roman contemporain fondé sur un fait divers sordide et tragique. J’ai une vision de notre monde un peu plus comme un sociologue que comme un romancier. Ce que j’essayais de faire, je viens de le réussir avec Tête heureuse. Là, je suis de bonne humeur parce que j’ai le sentiment d’avoir fait un premier tour complet du compteur. Je suis revenu à zéro. C’est comme si je recommençais à écrire, comme si, dans ma maturité, j’avais trouvé ma voie véritable." En effet, pour la première fois, il a réussi à soustraire ses personnages de l’action et à miser sur leurs émotions. Un objectif atteint avec succès puisqu’il s’est inspiré de ses propres parents.

C’est d’ailleurs un merveilleux périple que Louis Caron s’est payé avec Tête heureuse, celui d’une chasse au trésor à travers le présent et le passé d’une mère et de son fils, un voyage le long de la côte gaspésienne, dont la destination finale est tout simplement la vie.

Tête heureuse
de Louis Caron
Boréal, 2005, 360 p.