Madeleine Gagnon : Une amie bosniaque
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Madeleine Gagnon : Une amie bosniaque

Madeleine Gagnon trace l’itinéraire d’une jeune réfugiée bosniaque à la fin du conflit yougoslave avec, en arrière-plan, la condition de la femme en temps de guerre.

Poétesse, romancière, essayiste, Madeleine Gagnon fréquente et entrecroise depuis longtemps les différents genres littéraires, élaborant une œuvre-hommage à la nature et aux humains, empreinte de féminisme et d’une grande culture livresque. Son dernier roman, Je m’appelle Bosnia, peut d’ailleurs être saisi en contrepoint ou comme complément fictif à son essai Les Femmes et la guerre (prix Marcel-Couture 2001), dans lequel l’écrivaine donnait la parole à celles qui, à notre époque, ont vécu au quotidien la violence d’un conflit armé. Car la guerre se retourne bien souvent contre les femmes, les vainqueurs finissant par les considérer comme un dernier territoire à conquérir, "inoculant la haine et la mort là où normalement le corps doit jouir".

Violée à 14 ans et devenue motif de déshonneur pour sa famille musulmane, Sabaheta a suivi son père dans le maquis bosniaque durant la guerre des Balkans, son frère ayant été enlevé par des paramilitaires et sa mère, enfermée dans une institution psychiatrique. Après l’assassinat de son père, qu’elle a enterré de ses propres mains, la jeune fille trouve refuge à Sarajevo, ville bombardée et dont les fameuses sept collines sont infestées de snipers qui tirent à vue sur les habitants. Partageant d’abord un appartement avec Adila et Marina, qui perdront la vie durant un tir d’obus, elle se joindra au régiment de son amant Adem, avant d’immigrer avec lui en France, puis au Québec. S’étant rebaptisée Bosnia, de façon à conserver un peu de ses origines, l’héroïne ne tourne pas totalement le dos à sa culture. Ayant définitivement perdu sa foi religieuse sous le poids des horreurs auxquelles elle a assisté, elle sortira du conflit avec une seule et troublante certitude: "si, depuis la nuit des temps, la guerre existe, la guerre et les tortures, les viols et toutes les pornographies, c’est pour la seule et unique raison que des êtres, et nombreux, aiment ça, tuer".

À une première partie douloureuse dont l’action se situe à Sarajevo succède donc une immigration en deux temps, dont les conditions matérielles apparaissent exceptionnellement favorables, contrastant en cela avec les difficultés vécues par la moyenne des réfugiés de guerre. Il faut sans doute mettre cet idéalisme sur le compte d’un besoin d’écrire l’espoir. Chez Gagnon, celui-ci repose en bonne partie sur la confiance en différentes institutions internationales (Avocats sans frontières, l’UNESCO, le droit pénal international), sur la force de l’amour et sur le "pouvoir régénérateur et consolateur" de la littérature. C’est donc aussi parce qu’ils connaissent les œuvres de Balzac, Dostoïevski, Giono, Claudel, Gabrielle Roy, Jacques Brault et Hélène Cixous que les personnages de Bosnia parviennent à se relever pour se construire une nouvelle existence. Madeleine Gagnon qui, pour ce roman, s’est d’ailleurs inspirée de la vie d’une amie bosniaque à qui elle a inventé un destin plus facile après la guerre, nous offre ainsi une belle leçon humaniste, celle d’un apaisement de l’âme passant entre autres par la fréquentation des livres.

Je m’appelle Bosnia
de Madeleine Gagnon
VLB éditeur
2005, 234 p.