Karina Mancini : Murmures du son
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Karina Mancini : Murmures du son

Karina Mancini publiait récemment Nuit noize, un deuxième recueil de poésie fébrile et senti, attentif aux petits riens du monde. Rencontre.

Sans crier gare, Karina Mancini nous arrivait en 2002 avec un premier recueil, P’tite peau (L’Oie de Cravan), une œuvre d’une discrète effronterie, un univers de corps chauds et de dérives intimes ayant charmé la critique. Cet automne, elle nous revient avec une somme jazzée explorant les réalités les plus immédiates. Du faisceau de lumière de la Place Ville Marie aux lueurs changeantes de la mémoire, en passant par le désir et la fausse légèreté d’être vivante, les poèmes contiennent l’urgence de dire, comme si en chacun d’eux se trouvait "Une étoile gonflée / à bloc / brillante / à outrance / prête à péter". Parfois orale, parfois découpant le langage en morceaux rebondissants, l’écriture de Karina Mancini ne cherche pas à "faire poétique". Sans apprêt, et pourtant d’une étrange élégance, c’est à une écriture du "ici-maintenant" que l’on a droit.

Mais au fait, pourquoi la poésie? "Pour calmer une anxiété profonde", répond-elle d’emblée, sans ironie. "Peut-être aussi pour mettre en mots des instants afin de les voir autrement, à l’extérieur de moi, avec du recul". Une anxiété toutefois distillée avec retenue sur la page. Une hantise éveillant parfois des fantasmes de libération, des visions secouant le poème qui s’écrit: "Mes jambes / se raidissent / par moments / et tracent / des ronds / au sol / pour que les gens / tombent / dedans".

Si écrire, c’est chercher quelque chose, que cherche Karina Mancini? "À célébrer des petits moments. […] Je ne suis pas quelqu’un qui exploite les grands thèmes, la vie et la mort, tout ça. J’explore des petites choses. Mais on ne sait jamais. Peut-être qu’à mon insu mes poèmes sont porteurs de questions plus grandes. Je ne sais pas." Peut-être bien. Car Nuit noize est imprévisible; on saute d’un texte où figure un électrocardiographe, ailleurs "une pluie / de mousses blanches / l’été"; on suit ces poèmes imprimés en chute libre au centre de la page pour tomber sur des passages nous apprenant " […] qu’on commence / à vieillir / quand / on commence / à avoir / de la difficulté / à se mettre à genoux", ce geste "pourtant / si léger / si léger".

Outre les souvenirs d’enfance et les turbulences intérieures agitant le verbe de la poète, un thème se fait récurrent dans le recueil: "C’était présent aussi dans P’tite peau. Les gens avaient parlé de corps et de sensualité. La sexualité dans l’écriture, c’est mon moyen freudien de calmer une angoisse latente", analyse-t-elle au bout du fil. Ce qui donne des vers aussi beaux et simples que ceux de Proposition: "Si tu veux me déshabiller / pour toi / je me battrai la peau / pour en enlever / toutes poussières".

Lectrice de Colette et d’Aquin, de Vanier et de Desbiens, Karina Mancini poursuit son parcours avec un roman tout frais dans sa manche. À six ans, elle affichait ses premiers poèmes dans le corridor afin que sa mère les lise avant de se coucher. Aujourd’hui, elle nous invite à rester éveillés et à comprendre que, malgré tout, la nuit n’est pas noire, mais bien noize.

Nuit noize
de Karina Mancini
Éd. Lanctôt
2005, 57 p.