Les écrivains belges : Révolution de salon
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Les écrivains belges : Révolution de salon

Les écrivains belges ont la cote cette année. Outre les récipiendaires du Goncourt (François Weyergans) et du Médicis (Jean-Philippe Toussaint), un nouvel espoir bruxellois, Thomas Gunzig, émerge du raz-de-marée de la cuvée 2005 et débarque au Salon du livre.

Dans la jungle de l’édition, il a réussi à se faufiler jusqu’à la sélection finale du Prix de Flore, qui reconnaît une œuvre caractérisée par l’originalité, la modernité et la jeunesse! La liste des lauréats des années précédentes affiche d’ailleurs les noms de Vincent Ravalec, un certain Michel Houellebecq, Virginie Despentes, Christophe Donner… Thomas Gunzig n’a pas été primé, malheureusement pour lui, ce qui lui permet, heureusement pour nous, de nous visiter.

La mi-trentaine, ce prof de littérature diplômé en sciences politiques arbore une tête d’adolescent perpétuel et son plus récent roman, Kuru, en dégage la fraîcheur et l’insolence. Avant qu’il ne s’envole vers le Québec, nous l’avons joint dans le calme de la capitale de la Belgique.

Emprunté au lexique médical, le terme "kuru" désigne une forme rare de maladie du système nerveux. À ne pas confondre avec la fureur du courroux! Parce que la bande de jeunes losers qu’on y rencontre a l’héroïsme mou. Ils sont six (Fred et Fabio, Katerine et Kristine, Paul et Pierre), dans la vingtaine, désœuvrés et vivant aux crochets de leurs parents. Ils se rendent à Berlin où a lieu un sommet du G8… et on s’en doute, la traditionnelle manifestation altermondialiste qui s’y greffe. Si Fabio et Katerine vont y expérimenter une thérapie de couple révolutionnaire, les autres espèrent participer à la révolution avec un grand R, qu’ils confondent, à tort, avec un reportage à la télévision.

Gunzig n’a pas tenté de nous pondre une politique-fiction, même si son mémoire d’études portait sur l’indépendance du Tadjikistan: "La situation de la manifestation qui tourne mal, avec des jeunes petits-bourgeois bien instruits, dont l’engagement n’est qu’une réponse à leur oisiveté, a été pour moi davantage une énergie qu’un propos. Et je voulais surtout que ce ne soit pas la seule piste explorée." Même qu’elles se multiplient, de l’exploration de la magie celtique, qui nous vaut d’ailleurs une séquence délirante se concluant par une scène jubilatoire, jusqu’à la détresse des échecs sexuels qui ponctuent les aventures des protagonistes. "On n’a jamais autant parlé de sexe qu’aujourd’hui, de constater le romancier. Le marketing et la publicité sont excessivement sexualisés. L’époque carbure à l’obligation de jouissance, d’où cette errance chez les jeunes de 17 à 40 ans qui vivent souvent une sexualité navrante, à l’image de celle de mes personnages."

Et la réponse qu’il nous suggère pour résoudre le problème pourrait être l’amour. "Sauf qu’il faut accepter de redevenir con pour être amoureux. Katerine, celle qui s’en sort le mieux, n’est pas très maligne, un peu sotte et très jolie. En plus, elle a des pouvoirs magiques. Et j’ai beaucoup lu sur la magie, les sorcières…" Ce qui aurait pu n’être qu’une bonne idée sera donc poussé à l’extrême, entraînant le récit dans une zone presque fantastique, pour notre plus grand plaisir.

Ce roman évite l’écueil du plaidoyer générationnel nombriliste, même s’il met en scène le vide existentiel de ces enfants adultes qui ne comprennent pas ce qu’ils font. Surtout, il refuse d’adopter le ton moraliste du grand frère qui se moque de ses comparses. Il est plutôt écrit avec un humour intelligent, caustique, posant un regard à la fois lucide et ludique sur le monde mondialisé dans lequel nous vivons. Le tout sur un rythme effréné qui contraste avec la neurasthénie qui afflige les héros.

Si Gunzig est maintenant publié chez un éditeur français, condition sine qua non pour obtenir une diffusion dans toute la francophonie, il refuse de s’exiler vers la Ville lumière. "Paris, c’est toxique. On parle sans cesse et il faut participer au volet cocktail de la littérature et boire des verres avec les critiques et les membres des jurys. Je préfère vivre en Belgique, on ressent moins de pression, c’est plus sain pour écrire." Si ça génère d’autres petites bombes dans le style de Kuru, on ne le contredira pas. Même que cette lecture nous donne le goût d’aller feuilleter ses livres précédents (plus d’une dizaine!), dont quelques-uns disponibles ici en format poche. Une véritable découverte!

Kuru
de Thomas Gunzig
Éd. Au Diable Vauvert
2005, 272 p.