Mélanie Vincelette : Les pissenlits par la racine
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Mélanie Vincelette : Les pissenlits par la racine

Mélanie Vincelette occupe une frange audacieuse de la relève littéraire dont le refus des courants à la mode se manifeste dans un roman foisonnant et à l’ambiance mystique: Crimes  horticoles.

Entrée en littérature avec ses nouvelles (Petites Géographies orientales, Qui a tué Magellan?), Mélanie Vincelette explique avoir conservé son approche "miniaturiste" pour l’écriture de son premier roman, Crimes horticoles, paru cet automne chez Leméac: "J’aime bien décrire le plus petit pour expliquer l’universel, qu’à partir du détail on puisse comprendre quelque chose de plus grand. Je veux que mon écriture soit la plus concentrée possible, que chaque phrase soit utile, qu’il n’y ait rien de banal." C’est d’ailleurs la même philosophie qui guide le choix des livres qu’elle publie au Marchand de feuilles, maison d’édition qu’elle a fondée en 2001 et qui a entre autres révélé au public les œuvres de Suzanne Myre. Les deux métiers de Vincelette se nourrissent ainsi mutuellement: "Ce que j’essaie de faire, c’est de publier les textes d’une génération, les nouvelles voix, celles qui viennent heurter un peu ce qui a été produit auparavant."

Crimes horticoles est consacré, l’espace d’un été, aux tracas existentiels d’une fillette de 12 ans portant le prénom masculin d’Émile. Celle-ci vit dans un ancien motel de La Conception en compagnie d’une mère qui tient boutique d’astrologie et d’un père qui s’abîme dans la culture illégale du pavot. Leur grange est squattée par Liam, un Marseillais de 70 ans échoué dans la région à cause d’un amour perdu. Le vieil homme sert de précepteur à Émile et, avec ses projets de voyages en Afrique du Nord, l’amènera à évoquer de lointains horizons: "J’ai besoin d’explorer des lieux qui me sont étrangers, d’être transplantée ailleurs pour renaître enfin." Émile a par ailleurs une amie, Nila, fille du propriétaire du club de danseuses et d’une prostituée indienne, et elle aime secrètement Eduardo Luna, séduisant prêtre de 27 ans qu’elle rêve de voir "menotté à [s]on bras" lorsqu’elle quittera le village. Sur tout ce beau monde pèse l’ombre de crimes présents et passés.

On aura compris qu’il règne dans les Hautes-Laurentides de Mélanie Vincelette une tension entre l’ici et l’ailleurs, entre la sédentarité et le nomadisme. À La Conception, le Miss Patate du bord de la route fait dans la gastronomie, les religieuses portent des robes soleil et les vieillards s’adonnent à un clavardage effréné. L’ensemble, porté par un accent ironique et avec son caractère initiatique, est hallucinant. "Bien sûr, mon histoire ne relève pas du réalisme pur, c’est plutôt du réalisme magique. Un traitement qui nécessite une abondance d’informations et qui n’est pas tellement acceptable aujourd’hui dans notre littérature, où l’on veut quelque chose de svelte, de maigre, des mots qui ne paraissent presque pas à la lecture. Ma voix est à l’opposé de ça. Je ne fais pas non plus dans l’autofiction et je veux que la littérature soit autre chose que de la complaisance."

Au Québec rural fermé et consanguin auquel notre littérature nous a habitués, l’écrivaine de 30 ans réagit également en décrivant une population métissée et multiculturelle, non pas l’habituelle mosaïque montréalaise, mais celle, plus étonnante, du pays profond. "En plus d’être assez lassant, le leitmotiv du pure laine et du tricotage ne représente plus vraiment la réalité. Aujourd’hui, c’est autrement dans les régions. Pour Crimes horticoles, je me suis inspirée des alentours de Tremblant où il y a énormément de gens de diverses origines ethniques depuis le boom économique de la région: des Hindous, des juifs, des Polonais, des Pakistanais…"

Le choix de Mélanie Vincelette se révèle particulièrement riche sur le plan esthétique, offrant un bouquet impressionnant de légendes et de superstitions de toutes origines et dont les associations structurent son œuvre. Elle crée ainsi une ambiance à la fois lucide et mystique qui contribue entre autres à mieux intégrer au quotidien la mort, celle-ci nous attendant souvent au détour dans ce roman de toutes les frontières.

Crimes horticoles
de Mélanie Vincelette
Éd. Leméac
2005, 149 p.