Le tandem Tardi/Manchette : Sang d’encre
Le tandem Tardi/Manchette se réunit à nouveau pour nous offrir Le Petit Bleu de la Côte Ouest, une bande dessinée qui nous entraîne dans le roman noir et l’univers irréversible des malfrats.
Bien sûr, au premier coup d’œil à la couverture, Georges Gerfaut, héros du Petit Bleu de la Côte Ouest, ressemble beaucoup à Nestor Burma, célèbre détective de Léo Malet, tel que dessiné par Tardi. Les personnages secondaires ressemblent également à ceux que fréquente Burma dans cette nouvelle bande dessinée de Tardi qui illustre, pour une seconde fois (Griffu), le travail du romancier Jean-Patrick Manchette, connu pour ses romans noirs, sanglants et jazzés. Manchette propose une littérature singulière, sans compromis, et un style incisif qu’il ne prêterait jamais à un genre littéraire qui s’éloignerait trop du polar demeurant en prise directe avec son temps. La présente BD est une adaptation du roman du même nom publié chez Gallimard en 1976.
Gerfaut ne traverse pas les arrondissements parisiens en taxi, comme le fait Burma. Il s’avance à fond la caisse en Mercedes gris acier à l’intérieur acajou, alors que son intérieur à lui "est sombre et confus" et qu’"on y distingue vaguement des idées de gauche". Et là s’arrêtent les comparaisons entre les deux personnages qui partagent plusieurs idées et réflexes, car dès les premières pages, on plonge dans l’univers saisissant de Manchette en savourant la griffe Tardi, pourtant si marquée.
Tardi, ce n’est pas que le trait, par ailleurs magnifique, c’est aussi la compréhension de l’univers littéraire et culturel d’un auteur et d’une histoire. De Tardi, on savoure également la direction photo qui montre le côté sombre des paysages sans masquer le pouls qui rythme le quotidien des gens dans ce qu’il a de plus beau et de plus humble. Avec cette histoire, on remonte environ 30 ans en arrière, en suivant Gerfaut qui s’est enlisé malgré lui dans une histoire compromettante. En voulant aider quelqu’un qui, selon les premières apparences, était un blessé de la route, notre antihéros passe pour un complice ou, à tout le moins, pour quelqu’un qui en saurait plus que nécessaire aux yeux de petits malfrats. Ces derniers, d’abord commandés par un voyou de plus grande importance dans la hiérarchie des bandits, partent à sa poursuite, ce qui entraîne une série de péripéties fâcheuses et sanglantes.
À travers cette histoire, on mesure le sang-froid de Gerfaut, sa vulnérabilité, sa capacité d’adaptation et sa complexité émotive. Ce cadre commercial, ingénieur de formation, dont le travail se résume en fait à la vente et la représentation, hésite à peine à abandonner sa famille et à suivre la pente accidentée du fuyard chronique. Comme dans tout bon roman noir qui témoigne de l’horreur, de la dureté et d’une certaine injustice qui règnent avant, pendant et après l’histoire relatée, ici, on voit aussi que la vie personnelle de Gerfaut ne change pas vraiment non plus, malgré la réalité. Un album inquiétant mais savoureux.
Le Petit Bleu de la Côte Ouest
de Manchette et Tardi
Éd. Les Humanoïdes Associés, 2005, 78 p.