Michel Tremblay : Roman à clé
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Michel Tremblay : Roman à clé

Michel Tremblay signe, avec Le Cahier bleu, un livre sur l’acceptation et l’accomplissement. Rencontre avec un auteur qui a marqué le Québec.

C’est avec le goût de donner une autre version des mêmes histoires que Michel Tremblay a replongé dans les années 60 avec sa trilogie des trois cahiers: Le Cahier noir, Le Cahier rouge et Le Cahier bleu. Avec ce dernier tome, le dramaturge et romancier prête à nouveau sa plume à Céline Poulin, un personnage dont le regard est plus près de celui qu’il avait à l’époque, lui qui était alors à l’extérieur du monde du théâtre auquel il rêvait d’appartenir.

"En trois livres, on assiste à un apprentissage de l’écriture, nous dit Michel Tremblay. Le premier, Le Cahier noir, n’est qu’un journal personnel où elle raconte, entre autres, son audition qui n’a pas fonctionné. Le second, c’est déjà plus festif, et Céline, qui est maintenant hôtesse dans un bordel pendant le temps de l’Expo, commence à découvrir la fiction, tout comme elle commence à apprécier l’écriture, et à aimer en inventer des bouts. Le troisième, ce devait être pour moi le livre de l’accomplissement. Le livre par lequel elle deviendrait un écrivain au point de s’inventer un faux narrateur."

Il se dégage de ce roman un plein sentiment de paix. Comme si chaque personnage comprenait à sa manière qu’il doit s’accepter et accepter son entourage tel qu’il est. Ils sont tous dans ce processus d’acceptation et tout ça interpelle leurs origines, leur présent et, surtout, conditionne leurs choix. Céline Poulin, une naine, doit quant à elle se déprendre de l’idée que personne ne peut l’aimer. "C’est évident que c’est une allégorie de ce que je vivais à l’époque. À ce moment-là, je rencontrais André Brassard, Louis Jobin, Diane Arcand, Rita Lafontaine et François Laplante, qui étaient déjà des artistes, alors que moi, j’étais misfit, inadapté dans les deux mondes. J’étais un ouvrier à l’imprimerie et malheureux là-dedans, et même si je savais que j’appartenais au monde des artistes, je n’avais pas encore fait mes preuves à ce moment-là."

UN COUP QUI PORTE

Céline Poulin est serveuse dans un restaurant, le Sélect, où se rencontrent bon nombre d’artistes, dont les membres de L’Osstidcho et même Réjean Ducharme. Elle a déjà raté une audition qui aurait pu changer sa vie, mais là, c’est par l’écriture qu’elle apprend à se réaliser. Curieusement, c’est dans un restaurant que Tremblay, l’auteur, s’est fait secouer un jour. "Environ un an après avoir écrit Les Belles-Sœurs, je suis allé manger avec Louis Jobin et André Brassard. À ce moment-là, ma pièce était écrite, mais rien ne se passait et j’avais décidé de la mettre dans un tiroir. Je n’en faisais rien et j’avais peur de devenir un raté. Tous les deux m’ont dit que si je ne faisais pas attention, car ils trouvaient ma pièce bonne et jugeaient nécessaire d’en faire quelque chose, je me dirigerais dans une mauvaise voie. Il fallait que je poursuive mon travail d’écriture. Ce soir-là, il s’est passé une sorte de catharsis, parce que ça venait d’ailleurs et que le mot "raté" avait été prononcé. Ça m’a fait un bien énorme. J’ai commencé à lutter à cause de ce mot-là et grâce à ces deux amis-là."

Le succès qui suivit, on le connaît, et c’est après avoir consacré quelques décennies à l’écriture de romans et de pièces sur des femmes malheureuses, qui arrivaient à nommer leur souffrance mais qui n’avaient pas de clé pour s’en sortir, que Michel Tremblay créa Céline. "Quand j’ai eu terminé mes Chroniques et que j’ai commencé à penser à Céline, en 1997, je me suis dit que j’allais inventer, en retournant dans les années 60, donc parallèlement au cycle des femmes malheureuses (Les Belles-Sœurs et compagnie), un personnage de femme à qui je donnerais la clé que j’ai eue, moi, c’est-à-dire l’expression à travers l’écriture."

Le Cahier bleu
de Michel Tremblay
Éd. Leméac / Actes Sud, 2005, 314 p.