Nina Bouraoui : Courant de pensée
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Nina Bouraoui : Courant de pensée

Nina Bouraoui remportait récemment le prix Renaudot pour Mes mauvaises pensées, un vertigineux roman-confession prenant l’intimité par les cornes.

C’est en effet le 3 novembre dernier que les membres du jury ont tranché: ils décernaient, à six voix contre cinq, le prestigieux prix français à l’auteure franco-algérienne Nina Bouraoui pour son neuvième ouvrage, Mes mauvaises pensées. Née en 1967 à Rennes, l’écrivaine raflait déjà en 1991 le prix Inter et le prix 1537 de Blois pour La Voyeuse interdite, sa première œuvre romanesque. Au fil de la dernière décennie, elle développa un style, des obsessions surtout, la rapprochant de plus en plus, ces dernières années, des tenants de l’autofiction française. Mes mauvaises pensées joue cette carte sans réserve, se présentant comme le récit d’une confession dans le huis clos d’un cabinet de psychanalyste, où l’enfance algérienne de l’auteure ainsi que les aléas de sa vie amoureuse se retrouvent à la fois sous les projecteurs et le scalpel.

Dès les premières lignes, Bouraoui met cartes sur table: "Je viens vous voir parce que j’ai des mauvaises pensées. Mon âme se dévore, je suis assiégée. Je porte quelqu’un à l’intérieur de ma tête, quelqu’un qui n’est plus moi ou qui serait un moi que j’aurais longtemps tenu, longtemps étouffé." Cette part étrangère se dépliera lentement grâce à une parole chargée d’amour, de tristesse, de désir et de violence. On aura alors droit au déploiement d’un autoportrait impressionniste aux lignes de fuite pointant un passé dont la principale blessure est le déracinement. Arrachée trop vite à l’Algérie, terre originelle, l’auteure l’intériorise, et y retourne, impatiente, tout au long de l’ouvrage, comme à une question: "(…) je ne sais pas si je viens de là, je ne sais pas si je suis constituée de cela, il n’y a que des terres humaines je crois, Alger existe parce que j’y ai vécu, parce que je m’y suis laissée; c’est moi qui fais Alger et non l’inverse."

Comme si nous étions celle qu’elle paie pour l’écouter, Bouraoui nous entretient également des hantises familiales, d’Hervé Guibert, du Mulholland Drive de Lynch et des femmes aimées: l’Amie, la Chanteuse, Diane de Zurich, puis, de fil en aiguille, sa psy, la grande silencieuse – "[…] vos jambes sont croisées; je n’ai pas peur de les regarder, je n’ai pas honte de cela, ce sont vos yeux qui me ruinent […]." Or, le véritable amour de l’auteure, c’est sa mère, un amour-déchirure procédant d’un complexe d’OEdipe décalé: "[…] je pense que les filles aiment les femmes plus âgées, je pense que je suis dans un cercle amoureux dont ma mère occupe le centre."

Impossible à résumer tant les pistes sont multiples, le Bouraoui nouveau déploie ses 286 pages en un pan de vie kaléidoscopique au rythme hachuré, sans paragraphes, porté par une voix opérant en spirale, avançant imperceptiblement au cœur d’un trouble à mille visages. Un roman à la complaisance assumée, souvent répétitif, et qui, par sa prose nerveuse et forte, parvient tout de même à tirer son épingle de cet éternel jeu de miroirs – l’autofiction, pour ne pas la nommer – amusant tant d’écrivains français depuis trop longtemps.

Mes mauvaises pensées
De Nina Bouraoui
Éd. Stock, 2005, 286 p.