François Weyergans : Trompe-la-mort
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François Weyergans : Trompe-la-mort

François Weyergans brise un silence de sept ans avec Trois jours chez ma mère, un "roman dans le roman" coiffé du Goncourt quelques jours à peine après être sorti de chez l’imprimeur.

En période de remise de prix littéraires, les paris vont bon train dans les salles de rédaction. Voir n’y échappe pas, qui prévoyait l’attribution du Goncourt à Fuir de Jean-Philippe Toussaint dans son édition du 3 novembre. Il faut dire que la presse française au grand complet s’étonnait du choix auquel le jury s’est rallié la semaine suivante, y voyant dans le pire des cas un hommage au nombrilisme d’une littérature nationale en manque de renouvellement, et dans le meilleur une victoire des bons sentiments, de la conversion humaniste par l’intermédiaire de l’art et de l’écriture. Convenons de toute façon que l’œuvre et la carrière de cet hédoniste qu’est François Weyergans apparaissent comme une intéressante solution de remplacement au succès mercantile et médiatique d’un Michel Houellebecq, favori de la course.

Car c’est tout un personnage que ce François Weyergans. Faux timide doué pour la procrastination, régulièrement inquiété par le fisc, il a publié 11 livres seulement en 30 ans et a passé les dernières à vivre des avances versées par son éditeur Grasset, qui annonçait la sortie de son roman à chaque rentrée depuis l’an 2000, l’auteur tardant à livrer le manuscrit promis de Trois jours chez ma mère. Autour de ce beau titre forgé depuis belle lurette, Weyergans tentait de rendre hommage à celle qui, actuellement âgée de 91 ans, apparaît comme une figure rassembleuse, attachante et moins écrasante que celle du père écrivain mis en scène dans l’inoubliable Franz et François (Grand Prix de la langue française 1997). Le livre enfin paru est marqué par les obsessions habituelles de l’auteur: la psychanalyse, l’art, son rapport aux femmes et à l’écriture.

Un écrivain parisien dans la cinquantaine, François Weyergraf, planifie d’aller passer du temps chez sa mère en Provence. Son projet est sans cesse remis à plus tard, le narrateur étant retenu par un roman qu’il tente désespérément d’achever entre les visites d’huissiers et de contrôleurs des impôts. Un matin de découragement, sa femme Delphine lui lance une phrase qui le fera réfléchir, "Tu fais peur à tout le monde", affirmation qu’il finit par traduire par "Tout le monde a peur pour toi" puisque ni sa femme, ni sa mère, ni ses cinq sœurs ne croient qu’il parviendra à terminer son livre. Dans ce roman inachevé, François Weyergraf met d’ailleurs en scène son alter ego, François Graffenberg, écrivain en panne lui aussi, dont un projet de livre donne la parole à l’auteur François Weyerstein, lequel prémédite également de rendre visite à sa mère. Autour de cette triple mise en abyme, dont les subtiles variations signalent la fausseté de l’autofiction, Weyergans parvient à donner un caractère séduisant à l’échec, à la maladresse et aux obsessions compulsives, un peu à la manière de Woody Allen, dont l’écrivain est un admirateur avoué.

À travers son enlisement professionnel, ses embarras financiers et la gestion approximative de ses amours adultères, le Weyergraf de Weyergans renvoie l’image sympathique de l’artiste qui s’amuse à prendre son temps et dont le travail ne constitue pas un impératif absolu. Livrée à l’autobiographie, son extravagance de surface se transforme par ailleurs en conscience aiguë de sa normalité: "J’ai parfois l’impression de jouer le rôle de celui qui pense anormalement par rapport au groupe, ce que la psychologie sociale appelle un excentrique. Je m’écarte pourtant si peu des habitudes reçues. Je voudrais mourir le plus tard possible en pleine santé. Je parle de la mort puisqu’un livre qui ne parle pas de la mort est pris moins au sérieux." Ainsi la visite prévue chez la mère ne peut-elle finalement avoir lieu que lorsque cette dernière, victime d’un accident, est transportée à l’hôpital. Un développement qui, par son caractère attendu, exhibe l’impasse vertigineuse de toute fiction qui se targue d’ajourner la mort et ne fait qu’en différer l’inéluctable réalité.

Trois jours chez ma mère
de François Weyergans
Éd. Grasset, 2005, 263 p.