Pierre Mérot : L'homme qui boit
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Pierre Mérot : L’homme qui boit

Pierre Mérot, après l’éthylique Mammifères, nous lance L’Irréaliste, une dérive de 200 pages, lucide et chancelante, d’un écrivain face à lui-même.

En 2003, la scène littéraire parisienne tomba sous le charme des débines bien arrosées de Pierre Mérot. Le roman s’intitulait Mammifères. On suivait alors le discours de l’Oncle, narrateur au foie élimé, nous entretenant de sa lassitude provoquée par la famille, le travail, le sexe, l’amour, l’époque en chute libre, nous servant ainsi épisodes intimes et réflexions de perdant magnifique. Sorte d’esthète bukowskien version Montparnasse, Mérot se présentait avec son regard pataud, sa voix traînante et son désespoir de zinc souillé. Moins problématique que Houellebecq, moins glamour que Beigbedder, l’auteur récidive cet automne avec l’Irréaliste, une œuvre transpirant la même odeur d’aube et de tabac, carburant aux petits et aux grands alcools, à la débandade affective, à la tendresse fragile et à l’amour de la littérature.

Soyons clair, l’intrigue du roman ne tient qu’à un fil: un éditeur demande à un auteur de quarante-quatre ans d’écrire un roman "réaliste" pour la rentrée littéraire. Ce qui permet à Mérot – on le comprend assez vite – d’éparpiller librement son écriture, son ironie et sa naïveté presque romantique afin de brosser un portrait impressionniste de la situation: un homme, un livre à écrire, l’alcool, les virées, le désamour, l’enseignement, les livres-phares, la sale élégie du temps qui fuit. On croit tourner en rond dans le studio autour d’une bouteille ou d’un écran vide; rien à signaler vraiment. D’ailleurs, l’auteur nous avertit dès les premières pages: "Il y a peu de chose dans la vie d’un homme". Mais pourtant, sous la plume de l’auteur, le désenchantement prend des allures de cirque urbain. Un petit cirque halluciné où surgissent au hasard Oblomova-La-Tendresse-Même et Cruella-La-Tueuse-Remarquable, le rouge et le noir de l’amour impossible. Un théâtre sans histoire habité par Cheval Fou, l’éditeur (on reconnaîtra la superbe de pseudo-dandy dissipé et puéril de Beigbedder), et surtout, il va sans dire, par le narrateur, l’Oncle, Pétoncle pour les intimes, qui se résume à "quatre-vingt-dix kilos d’angoisse sur deux jambes tremblotantes".

"Celui qui boit me comprendra. Il y a en effet comme des milliers de bourdons épuisés dans ses veines. Mais il n’a jamais su faire autre chose qu’offrir une énorme et inutile fatigue en sacrifice au monde." Il faut le dire sans ambages: l’alcool est la grande assise de L’Irréaliste, son port d’attache avoué. Et au fil de cette suite de chapitres pétris d’élucubrations un peu ébouriffées, autant lyriques que lapidaires, l’alcool devient autre chose que l’alcool. Il devient la part de désastre et de grâce contenue dans l’amour, la solitude, le sexualité et le présent. Mais mis à part la gnôle, en définitive, un livre, Pierre Mérot, qu’est-ce que c’est? "Un livre, ce n’est qu’une arche de papier jetée par un enfant dans un ruisseau imaginaire où il n’y a ni mort, ni lutte, ni pouvoir, mais seulement le regret, l’incalculable regret – quelques explications obscures et gribouillées avant de disparaître."

L’Irréaliste
de Pierre Mérot
Éd. Flammarion, 2005, 209 p.