Mordecai Richler : Comment devenir un monstre
Mordecai Richler suscitait autant la haine que l’admiration. Par le biais d’entretiens signés Posner, on suit le parcours d’un franc-tireur aussi effrayant que séduisant.
Il voulait être Philip Roth. S’il n’a pas obtenu le rayonnement du célèbre écrivain américain, et non plus, nous en conviendrons, atteint ses qualités exceptionnelles de romancier, Mordecai Richler (1931-2001) pouvait se vanter d’être l’un des écrivains québécois les plus connus et les plus affranchis, et l’un des rares romanciers anglophones que les francophones arrivent à nommer. Beaucoup même l’ont lu, malgré les traductions déficientes de l’édition française. On ne le connaît pas toujours pour ses qualités littéraires, son côté polémiste l’emportant souvent sur le reste, mais n’empêche, Richler a de réels lecteurs, ici et sur la scène internationale. Avec Mordecai Richler. Le dernier des francs-tireurs par Michael Posner, un livre d’entretiens traduits par Hélène Rioux (une romancière québécoise, Dieu merci!), on apprend à mieux connaître ce monstre de l’écriture (rarement écrivain a mieux porté cette appellation).
Une fois rassuré par les qualités indéniables de la traduction, quelques détails techniques agacent d’entrée de jeu. Posner, un journaliste et chroniqueur artistique du Globe and Mail, n’a pas cru bon d’offrir une préface au livre, afin de nous éclairer sur le projet qui regroupe une somme colossale d’informations acquises sur plusieurs années. Aussi, on ne sait jamais clairement à quel moment les gens ont été interviewés, et non plus, s’il s’agit de conversations où tous les intervenants étaient ensemble (ce qui ne semble pas être le cas), questionnés séparément, en petits groupes, ou même en couples (certaines répliques le laissent croire). Quand on s’intéresse au processus de création d’un écrivain, il est impératif de savoir à quel moment les réflexions avancées ont été énoncées; on n’a pas le même regard sur son œuvre, ou sur un moment précis de sa carrière, à 30, 40 ou 60 ans.
Cela étant dit, le livre montre un travail sérieux qui cerne bien le contexte dans lequel Richler est devenu écrivain. Par le biais d’entretiens avec lui, avec les membres de sa famille et avec ses amis, on fait un voyage à travers son univers romanesque et intime. Des parallèles se dressent, comme les souvenirs du Rosenberg’s Lakeside Inn, l’auberge de sa mère à Sainte-Agathe, et certaines scènes de L’Apprentissage de Duddy Kravitz. On comprend mieux, sans rien excuser, l’image des femmes dans Le Monde de Barney en prenant connaissance de l’avis général des intimes à propos de sa mère (une femme très dure), et de sa grand-mère (quelqu’un que la haine gardait debout). Des passages exprimant la misère dans laquelle a vécu le jeune "Mutti" au sein d’une famille dysfonctionnelle, permettent aussi d’humaniser le personnage Richler. Plus joyeux et d’intérêt général, on lit aussi les courants littéraires anglophones qui se dessinaient à l’époque, on croise les Mavis Gallant, les Irving Layton. Et on suit le personnage dans son ascension vers le succès… et dans les bars d’ici ou de Paris, au Mabillon ou au Old Navy.
Mordecai Richler. Le dernier des francs-tireurs
de Michael Posner
XYZ éditeur, 2005, 312 p.