Denis Thériault : Homme de lettres
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Denis Thériault : Homme de lettres

Avec Le Facteur émotif, Denis Thériault offre un deuxième roman près du conte, où tourbillonnent dans un même souffle poésie et suspense.

Fort d’un premier roman (L’Iguane, 2001) qui a su charmer les lecteurs, la critique et les jurys (il a remporté trois prix), Denis Thériault en propose un deuxième peut-être moins surprenant, mais qui a le mérite de renouveler ses défis littéraires tout en affinant un style.

Le Facteur émotif met en scène Bilodo, un facteur dans la vingtaine dont la curiosité le pousse à l’indiscrétion. En cette ère de courriels, la correspondance épistolaire traditionnelle se fait de plus en plus rare; aussi, lorsque notre mandataire tombe sur des enveloppes qui semblent contenir du courrier personnel, il ne peut résister à l’envie de les ouvrir pour les recacheter ensuite (non sans en avoir photocopié le contenu!). Les correspondances deviennent une sorte de téléroman qu’il suit avec assiduité.

Au milieu de ses lectures, une correspondance singulière devient le sel de son existence: celle entre Grandpré, un spécialiste de la culture japonaise, et Ségolène, une adepte de la poésie qui vit à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Cet échange, véritable dialogue énigmatique, se déroule entièrement sous la forme de haïkus, ces poèmes traditionnels japonais répondant à quelques impératifs formels et indications strictes quant à la présence de certains éléments. L’intrusion du facteur dans cet univers l’entraînera dans des péripéties aussi cocasses que fâcheuses.

ZEN AND ROLL

À la suite du décès inusité de Grandpré, Bilodo a l’idée de fou de se substituer à lui et de poursuivre la correspondance. Pour Bilodo, la poésie est d’abord un langage complètement ésotérique, mais pourtant attirant. Il s’intéresse donc à cet art, non seulement pour en comprendre le fonctionnement, mais aussi pour en saisir l’esprit et en adopter le point de vue. Il se met donc à la tâche d’écrire en poète, mais aussi d’écrire à la manière de Grandpré; double apprentissage qui déteindra sur tout son quotidien, qui virera parfois en cauchemar. En effet, s’il devient peu à peu un véritable homme de lettres (dans tous les sens), il n’en demeure pas moins qu’il vit, en quelque sorte, par procuration, et que tout s’organise non seulement dans le secret, mais dans le mensonge. C’est que Bilodo a récupéré l’appartement et le mobilier entier du disparu, épousant peu à peu ses habitudes afin de fondre sa plume à la sienne. Ce porte-à-faux l’éloigne de l’esprit du haïku qui tend à se rapprocher de la vérité, et Bilodo vit mal ce paradoxe.

Si le roman est un peu bavard malgré ses 118 pages, il demeure pertinent grâce au style et à l’évolution du personnage. Celui-ci, observé en pleine mutation, a quelque chose de maniaque et d’inquiétant, et à la fois d’attachant, de captivant.

Le Facteur émotif
de Denis Thériault
XYZ éditeur, 2005, 118 p.