Dominique Lapierre : Balade au pays des Soviets
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Dominique Lapierre : Balade au pays des Soviets

Dominique Lapierre s’écarte un temps de ses sentiers habituels, ceux de la politique fiction à rebondissements, pour nous ouvrir le carnet d’un singulier voyage de jeunesse.

À l’aube de ses 75 ans, le très enthousiaste journaliste et romancier Dominique Lapierre, à qui on doit entre autres une série de best-sellers à quatre mains avec Larry Collins (Le Cinquième Cavalier, New York brûle-t-il?…), de même que La Cité de la joie et Il était minuit moins cinq à Bhopal (ce dernier titre cosigné par Xavier Moro), délaisse les suspenses de politique fiction nord-sud. Il n’oublie qu’à moitié les déshérités de l’Inde de Mère Teresa, puisque le reporter missionnaire utilise aussi cette tribune pour promouvoir en épilogue ses œuvres humanitaires. Difficile de blâmer la vertu…

Mais avant cette morale hors contexte, son propos nous ramène cinquante ans en arrière, alors que notre aventurier avait des ambitions "tintinesques". Retour à la case départ, donc, avec ce récit nostalgique d’un pèlerinage derrière le rideau de fer, au rythme d’un raid automobile sur les routes précaires de ce qui s’appelait encore à l’époque l’URSS.

En 1956, Khrouchtchev, successeur du petit père du peuple Staline, dénonce les atrocités commises par son prédécesseur. Cette déstalinisation, à défaut de provoquer un vent de liberté sur l’empire communiste, laisse planer un courant d’air d’ouverture. À l’affût du scoop fumant, un jeune journaliste de Paris Match rêve de fouler le sol de la Russie pour faire connaître à l’Occident le mode de vie de monsieur et madame tout le monde sous la dictature du peuple.

Lapierre, 25 ans, apôtre du "poids des mots", convainc Jean-Pierre Pedrazzini, 27 ans, disciple du "choc des photos", d’embarquer dans cette équipée utopique. Plus encore, il envisage que leurs tendres moitiés respectives les accompagnent dans ce rallye pourtant risqué qui n’a rien d’un voyage de noces. Pour les décourager, Khrouchtchev lancera en boutade: "Vos épouses demanderont le divorce au bout de quinze jours."

Mais quand Dominique Lapierre a une idée en tête, il persévère. Et en juillet 56, le quatuor monte dans une luxueuse Simca Marly bicolore, affublée de logos des magazines Paris Match et Marie-Claire, remplie de petites tours Eiffel et d’échantillons de parfum Jolie Madame, pour entreprendre une chevauchée de 13 000 kilomètres. On leur adjoindra, bien sûr, en cours de route, un journaliste-espion local en guise de traducteur pour les guider sans trop échapper aux sentiers battus.

Loin d’être inintéressant, le livre que Lapierre en tire un demi-siècle plus tard ne se veut ni un dossier top secret révélant des interdits soumis jadis à la censure du régime, ni un document sociologique pointu destiné à réhabiliter les conditions d’existence des camarades soviétiques. Il a plutôt le charme suranné du journal de bord d’une virée de jeunesse subversive qui demeure souvent assez superficiel. En témoigne cette anecdote à tout le moins savoureuse alors qu’une vieille Russe demande à nos globe-trotters français de dégonfler un des pneus de leur voiture afin qu’elle puisse respirer un peu d’air libre de Paris!

Entre les clichés de la rusticité et les évidences de la misère exotique, ce reportage où l’émotion dame le pion à l’information ressemble davantage à un long papier de Foglia au pays des Soviets avec, toutefois, dans ses bagages, sa fiancée! Don Quichotte est toujours plus héroïque loin de sa Dulcinée…

Il était une fois l’URSS
de Dominique Lapierre
Éd. Robert Laffont, 2005, 200 p.