Sophie Lepage : Objets de désir
Sophie Lepage met en parallèle la vie amoureuse et les habitudes de consommation de jeunes Montréalais dans un premier roman qui se lit en un clin d’œil: Lèche-vitrine.
Journaliste pigiste, Marie est une "reine de la chasse au trésor": elle maîtrise l’art de dénicher la perle rare dans ses achats aussi bien qu’en amour. Patiente, elle peut revenir plusieurs jours de suite dans une boutique jusqu’à ce que la veste qu’elle convoite soit en solde. De la même façon, Marie n’aborde pas le bel inconnu aux cheveux bouclés qu’elle croise dans la rue, attendant plutôt que la vie le remette sur son chemin, se donnant le temps de rêver, de cultiver son désir. Son colocataire Carl, nettement plus impulsif, déteste rentrer les mains vides tant des magasins que de sa chasse aux garçons. Revenant avec un ordinateur alors qu’il est sorti acheter des piles, il est souvent déçu et blessé, mais sa vie n’est jamais ennuyante. Philippe, lui, se définit comme un "non-consommateur": il n’achète que lorsqu’il y est forcé et après avoir minutieusement sélectionné les caractéristiques de l’indispensable acquisition, qu’il s’agisse d’un lit ou d’un scanner. Il ne veut pas collectionner les conquêtes féminines comme son ami Jérôme, mais pratique sur Internet un lèche-vitrine qui l’aide à dresser un portrait-robot de la femme de ses rêves…
Dans plusieurs romans contemporains qui mettent en scène les amours et la sexualité de jeunes trentenaires de l’incontournable Plateau Mont-Royal, certains ont voulu voir émerger une littérature dite "de filles" (et parfois "de gars"), vaguement inspirée du Journal de Bridget Jones. Avec des résultats en général décevants (on pense notamment à l’insipide Soutien-gorge rose et veston noir de Rafaëlle Germain), cette littérature proclame trop souvent son absence de prétention sans songer qu’elle dévoile du même coup son manque d’envergure. Si, par son contenu et par la simplicité de son style, Lèche-vitrine semble s’inscrire dans cette mouvance, il faut convenir que Sophie Lepage se révèle davantage inspirée, notamment par le point de vue sociologique qu’elle adopte dans cette comparaison entre la quête amoureuse et les modes de consommation, l’obtention de l’objet d’amour passant chez elle par le même processus d’acquisition que celui d’un objet tout court. Une juxtaposition qui tient ici la route et que l’auteure parvient à rendre amusante grâce à une série de quiproquos et par les subtiles distinctions entre différents comportements, incarnés par une dizaine de personnages qui nous semblent drôlement familiers.
Scénariste et journaliste comme son héroïne principale (notamment pour Elle Québec), Lepage a la plume alerte, branchée, un peu futile, bref très "magazine féminin", ce qui n’est pas sans efficacité ni sans charme. Divisé en très courts chapitres (chacun consacré à un achat différent) et tissant rapidement les liens amoureux de sa petite bande urbaine, le livre apparaît néanmoins comme une œuvre sans risque et sans profondeur. À l’image des différents objets qui sont convoités, achetés puis jetés tout au long de l’intrigue, Lèche-vitrine se "consomme" rapidement. Il procure un plaisir qui devrait en satisfaire plusieurs… en attendant de passer au suivant.
Lèche-vitrine
de Sophie Lepage
Éd. Triptyque, 2005, 147 p.