Donald Westlake : Crime politique
Donald Westlake le sait, tout comme le juge Gomery: "conquête" du pouvoir ne rime pas nécessairement avec "honnête". Motus et bouche cousue, ou variation romanesque américaine sur le thème de la politicaillerie.
L’écrivain et scénariste américain Donald Westlake (Le Couperet, Moi, mentir?, Faites-moi confiance…) est une véritable machine à écrire. Tellement que son éditeur français, Rivages Thriller, peine à suivre son rythme de publication. Ce qui lui permet toutefois de nous donner le meilleur de sa production, de même que celle de son alter ego (sous le pseudonyme de Richard Stark). Avec Motus et bouche cousue, paru aux États-Unis en 2002, on a droit à un grand Westlake. Quand on sait que ses romans médiocres sont au-dessus de la moyenne…
Ne vous fiez pas à la couverture qui arbore une photo de starlette des années 40. Ça n’a strictement rien à voir avec le propos plutôt machiavélique de ce polar qui nous entraîne dans les coulisses d’une campagne présidentielle américaine en début de 21e siècle. Et on apprend ce qu’on savait déjà: tous les coups sont permis pour se faire réélire à la Maison-Blanche… ou au Parlement!
Westlake aime bien les voleurs de talent. Un de ses personnages fétiches, John Dortmunder, est un peu le Arsène Lupin des pauvres. Cette fois, il nous en présente un nouveau, Francis Xavier Meehan, un braqueur new-yorkais détenu, pour la première fois, dans une prison fédérale. Toutefois, sa réputation de petit génie de l’effraction dépasse les barreaux de son cachot. Tellement que les bonzes du comité de campagne du Parti républicain manigancent pour faire s’évader notre bagnard. On lui promet la liberté conditionnelle, la condition en question étant de commettre un larcin dans une forteresse du camp adverse. Et le temps presse. Le jour J approche et les démocrates détiennent des documents compromettants concernant le président lui-même. Le genre d’information qu’on veut divulguer en toute fin de campagne, une "Surprise d’octobre", dans le jargon électoral américain.
Si Westlake aime les voleurs, c’est pour qu’on partage avec lui cet amour illicite. Et il excelle dans le domaine. Son gredin Meehan est intelligent, attachant, moral à sa façon. Que les autorités politiques tentent de le manipuler et le berner ne nous le rend que plus sympathique. Mais l’auteur ne se contente tout de même pas d’un duel manichéen où les présumés bons sont les véritables méchants et vice-versa. Le récit de ce cambriolage politique est truffé de rebondissements, où s’entremêlent idylle amoureuse et amitiés interlopes, espionnage international et méthodes de torture barbares. On a droit à une galerie de personnages colorés où les plus influents ne sont pas nécessairement les plus intègres.
On qualifie souvent de cynique le regard que pose Westlake sur la société américaine. Mais son humour, ironique, sarcastique, lui permet de ne jamais sombrer dans le prêchi-prêcha. C’est un des rares écrivains qui réussissent à nous soutirer non seulement quelques sourires mais de fracassants éclats de rire.
Alors que sévit chez nous cette campagne fédérale post-commandites, la lecture de ce roman ne peut que nourrir nos doutes à l’égard de nos dirigeants dépendants politiques.
Motus et bouche cousue
de Donald Westlake
Éd. Rivages Thriller, 2005, 233 p.