Jean-François Beauchemin : Mort vivant
Jean-François Beauchemin, prix France-Québec 2005 pour Le Jour des corneilles (Les Allusifs), a aussi publié plusieurs romans chez Québec Amérique, tous marqués du sceau de l’enfance. Avec le récit La Fabrication de l’aube, il nous entraîne par la main vers la lumière au bout du tunnel. Rencontre avec un survivant.
Juillet 2004. Jean-François Beauchemin monte dans l’ambulance pour son dernier tour de piste. La mort l’attend au terminus. Il n’a que 44 ans. Il ne nous dira rien de la maladie qui le tue. Et ce n’est pas nécessaire; ç’aurait été anecdotique comme le sont souvent les témoignages relatant ces épreuves mystiques et occultes où la vie vacille avant de triompher.
Novembre 2004. Jean-François Beauchemin, contre toute attente, ressuscite dans sa chambre d’hôpital. "Du creux de mon lit, le matin même de mon retour à la vie consciente, j’ai demandé à l’infirmière qui veillait sur moi d’ouvrir le rideau de la chambre. La lumière blanche du petit jour, inondant alors soudainement les murs, demeurera à jamais pour moi parmi les trois ou quatre choses les plus touchantes que j’aie vues sur cette terre." Le ton du livre est donné: simplicité de l’extraordinaire et poésie du quotidien sublimé.
Janvier 2006. Jean-François Beauchemin publie, tout en avouant en entrevue "avoir la chienne de se livrer", son récit de voyage au pays des ténèbres. "J’avais cette émotion-là dans le corps, ces derniers mois en mémoire. Mais j’ai tenté d’éviter l’ésotérisme, je ne veux pas me frotter à ça. N’en demeure que cette histoire a ses mystères. Il y a une part qui demeure irrésolue. En principe, j’étais mort. Et maintenant, je vous en parle!"
PROPOS ET CONFIDENCES
Beauchemin nous en parle parce que, même si ce n’était pas son intention première, le récit autobiographique La Fabrication de l’aube arrive cette semaine en librairie. "J’écrivais ça pour moi, pour le relire dans 30 ans et me rappeler ce qui m’était arrivé; la maladie, la souffrance, le coma. Ma blonde a lu, à mon insu, le manuscrit, et m’a dit que mon prochain livre était émouvant. Elle m’a chicané un peu pour que je le remette à mon éditeur, malgré mes réticences."
Parce que Beauchemin est un timide. "Je suis secret, discret, pudique. La fiction, c’est bien commode; on l’utilise pour parler autrement de ceux qui nous entourent, de soi. La fiction est une protection. Cette fois, il n’y a pas de détour. On est dans la vérité. Ce qui m’a aidé à surmonter ma pudeur, c’est l’universalité de l’histoire. Elle appelle des questions essentielles: Dieu, l’amour…"
Et l’écrivain invite même ses lecteurs à communiquer avec lui par courriel en laissant son adresse électronique à la fin du livre, désireux plus que jamais de partager avec les autres fragilité et vulnérabilité.
LA MÉDECINE DE L’AMOUR
Sans jamais porter de jugement sur le système de santé, ni dénigrer les soins qu’il a reçus, Beauchemin soutient que c’est l’amour des siens qui l’a gardé en vie. Bien sûr, il nous offre le touchant portrait de famille de sa sœur et de ses frères à son chevet, il se remémore ses défunts parents. De plus, il accorde une place de choix au meilleur ami de l’homme, à savoir les différents chiens qui l’ont accompagné au fil de son existence.
Tel un Docteur Dolittle, Jean-François Beauchemin parle le langage des animaux. Pas étonnant puisqu’il croit que les animaux sont souvent plus humains que les hommes. Lors de son retour à la maison, après des mois d’hospitalisation, il donne même voix à sa chienne Clara. "Mais où étais-tu donc, bougre d’humain? Tous les jours je t’ai attendu. J’ai imploré à chaque heure le dieu des chiens pour que tu pousses à la fin la porte de cette maison. Et c’est maintenant seulement que tu reviens? Où étais-tu, petit humain oublieux?"
LA PERTE DE L’INNOCENCE?
L’univers des romans de Jean-François Beauchemin est hanté par le spectre de l’enfance; autant sa naïveté et sa pureté que sa cruauté et sa sauvagerie. "Je m’étais réfugié dans l’enfance. Mais l’enfant qu’il y avait dans tous mes livres précédents est mort. Ce n’est pas un deuil difficile à faire, parce qu’il fait poindre une aube au lendemain d’une longue nuit profonde, une nouvelle lumière qui luit. L’enfant a été remplacé par quelque chose d’autre. Ça ne cesse de m’étonner de savoir qu’on peut aller aussi loin dans la noirceur, la laideur, la douleur… Je n’ai plus le regard candide de l’enfant, mais je parle encore de beauté. Sauf que je vis maintenant les choses dans ma chair."
Ce livre s’immisce en nous sans heurt, les émotions à fleur de peau se bercent sur les flots d’une écriture maîtrisée. Il nous permet d’apprivoiser la mort tout en nous donnant des munitions pour la défier. Loin de verser dans l’opportunisme pour capitaliser sur sa guérison miraculeuse, Beauchemin nous offre plutôt, tout en sobriété, une ode à la vie, sans tambour ni trompette, un hymne à l’amour.
Pour Beauchemin, par la force des choses, un nouveau cycle s’amorce. "C’est évident que ça va teinter ma façon d’écrire. Ma sensibilité a été exacerbée, ça m’a apporté une conscience aiguë de la mort. Mais ce n’est pas une mauvaise chose, je crois."
La Fabrication de l’aube
de Jean-François Beauchemin
Éd. Québec Amérique
2006, 115 p.