Ugo Monticone : Voix parallèles
Ugo Monticone juxtapose son récit de voyage en Asie et un roman dans une même œuvre ambitieuse et réussie: Zhaole.
Popularisé au 19e siècle avec la montée des colonialismes, le récit de voyage demeure un genre littéraire fort prisé par un certain public sédentaire assoiffé d’exotisme. À mille lieues de ces ouvrages d’auteurs britanniques et américains contemporains qui relatent dorénavant leurs séjours idylliques mais pépères en Provence ou en Toscane, Ugo Monticone lie sa propre quête humaniste, spirituelle et littéraire à sa pratique d’un tourisme d’aventures érigé en mode de vie aussi essentiel chez lui que l’acte d’écriture. Après l’Ouest canadien et l’Afrique noire, parcourus dans Chronique de ma résurrection et dans Terre des hommes intègres, le jeune écrivain québécois nous invite maintenant à lire son périple en Asie du Sud-Est.
Six pays visités en quelques mois (Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, Chine et Tibet), dont Monticone ne manque pas de signaler au passage les principaux enjeux sociopolitiques: travail des enfants, prostitution, trafic de la drogue, corruption gouvernementale. Dépourvu d’un ton moralisateur malgré ces sujets délicats, le livre se dévore littéralement au fil des nombreuses péripéties racontées par le voyageur, de ces expériences difficiles ponctuées de moments de pure grâce, par "le sentiment d’être à la bonne place au bon moment, d’être là où je dois être, de prendre la place qui me revient dans cet immense engrenage qu’est la vie". Au-delà de l’enseignement pertinent que dispense cette œuvre sur une certaine région du monde, on appréciera le fait qu’elle nous donne ainsi accès à la riche personnalité de l’auteur.
Sous le titre commun de Zhaole, terme mandarin qui renvoie à la quête du bonheur, le récit de voyage laisse place pour la première fois chez Monticone à un roman de même longueur qui termine le livre. On y suit l’itinéraire d’un jeune Chinois qui, dans les années 70, s’enfuit du camp de rééducation où il était travailleur forcé depuis la révolution culturelle. Traversant la frontière, il se trouve involontairement recruté par les Vietcongs dans leur lutte contre l’armée américaine, s’initie au mode de vie du maquis dans les tunnels de Cu-Chi et participe à des commandos suicide dont il revient miraculeusement vivant. Après avoir survécu à une attaque sanglante, il n’atteindra le Cambodge que pour y assister à la victoire des Khmers rouges qui viennent de conquérir Phnom Penh, prélude à une nouvelle forme de tyrannie dont il apercevra les terribles charniers…
Récit picaresque digne du Candide de Voltaire et qui s’achève dans la paisible Thaïlande, cette seconde partie du livre, intrigante au premier abord, prend tout son sens au cours de la lecture, le roman abordant les questions politiques et d’épanouissement personnel qui marquaient le récit de voyage. On restera étonné, notamment, par les similitudes entre la vie du voyageur aventurier et celle du militaire: arrachement au foyer protecteur, à son réseau social et à sa culture, perte de la notion du temps, existence en "mode survie", rencontres et amitiés déterminantes (mais temporaires) que la vie civile n’autorise généralement pas. La réunion des deux œuvres sous la même couverture dégage donc une impression de complétude que l’auteur, frotté aux philosophies bouddhiste et taoïste, associe à celle du yin et du yang. Animé par cette démarche originale, Ugo Monticone nous propose une expérience de lecture singulière et prenante, signe d’une prometteuse carrière littéraire.
Zhaole
d’Ugo Monticone
Éditions du CRAM
2005, 431 p.