Jacques Côté : Présumé coupable
Jacques Côté remonte encore une fois le temps et dépose sa plume en 1980, au lendemain du référendum. Tandis que les uns fêtent et que les autres pansent leurs plaies, le lieutenant Daniel Duval s’occupe d’une nouvelle affaire tordue.
Le candidat à la mairie de Québec Charles Marquis est soupçonné d’avoir tué son épouse, Florence, alors que cette dernière suivait un traitement de chimiothérapie pour soigner un cancer. Selon toute vraisemblance, l’influent homme d’affaires aurait empoisonné sa femme à l’arsenic pour éviter un divorce et la perte d’une partie de sa fortune au profit d’organismes religieux.
L’affaire semble conclue d’avance, puis au fil de ses questions, Duval, toujours accompagné du truculent inspecteur Louis Harel, constate que la réalité n’est pas aussi simple. Charles Marquis n’est pas la seule personne susceptible d’avoir voulu se débarrasser de la grande dévote: le fils de Florence et Charles, Richard Marquis, avait de bonnes raisons de souhaiter la disparition de sa mère contrôlante, tout comme la sœur de Charles, Estelle Marquis, une femme jalouse du succès de son frère et habituée d’accompagner les mourants jusqu’à leur dernier repos. Qui plus est, quand il apprend que Charles Marquis couche avec son homme de maintenance, Duval réalise à quel point apparences et préjugés sont souvent trompeurs.
Il faut parfois explorer les côtés obscurs des gens pour mieux les comprendre. C’est ce que fait Duval dans La Rive noire. Jacques Côté n’a pas choisi au hasard le titre du troisième roman mettant en vedette le lieutenant de la SQ: "Je l’ai retenu parce que j’explore davantage le côté sombre de la nature humaine dans ce livre. Plusieurs personnages, à commencer par l’enquêteur Duval, sont menés sur les rives "noires" de leur vie", explique l’écrivain qui vit à Québec, en plus d’y situer ses intrigues.
Peut-être en raison des thèmes explorés dans La Rive noire, on a l’impression que l’auteur en a profité pour creuser davantage la psychologie de ses personnages. On retrouve Duval alors qu’il est à la croisée des chemins, frisant le burn out, s’interrogeant sur sa relation avec Laurence et détestant sa nouvelle maison de Cap Rouge: "Je parlais de la vie personnelle des personnages dans les deux premiers romans (Nébulosité croissante en fin de journée et Le Rouge idéal, publiés chez Alire en 2000 et 2002), mais je le fais davantage encore cette fois-ci. Dès le départ, il y a une conjonction d’événements qui pousse Duval à se questionner: la fausse couche de Laurence et les problèmes que ça génère dans son couple, puis le cas du bébé secoué (dont il s’occupe au début du roman), tout ça crée une résonance très sombre dans sa tête. Son enquête dans le milieu gai de Québec fait aussi renaître de bien mauvais souvenirs", énumère l’écrivain qui enseigne également la littérature au cégep de Sainte-Foy.
TEXTE ET CONTEXTE
La Rive noire a aussi une portée sociopolitique. En effet, Jacques Côté situe son intrigue dans une atmosphère post-référendaire et décrit le milieu homosexuel de l’époque, qu’il a reconstitué de manière aussi réaliste que possible. Puis, comme si ce n’était pas assez, son principal suspect était marié avec une femme dévouée à la Vierge Marie. C’est ce qu’on appelle un mélange explosif! "Parfois, lorsqu’on n’a pas d’idée d’intrigue, il faut commencer par situer l’histoire dans un contexte particulier. L’idée du référendum m’a séduit parce qu’on s’est tous levés le lendemain matin contents ou non d’aller travailler. Je me disais qu’il serait intéressant pour le lecteur de retrouver des personnages qui ont été divisés par le référendum et un enquêteur qui doit gérer cette dissension pendant plusieurs semaines. Dans le cas du milieu gai, ce qui m’intéressait, c’était qu’à la fin des années 1970, début 1980, il y avait déjà un début de petit village gai à Québec. C’est ce contexte particulier qui nourrit le roman, en plus de lui donner des contours", estime l’auteur qui ne veut pas se contenter d’écrire des romans procéduraux. "Si je devais le faire, je n’écrirais pas de romans policiers", assure Côté.
Au final, La Rive noire est un polar qui se déroule dans le passé, mais qui n’en demeure pas moins actuel en raison des sujets abordés. "Mes histoires se passent il y a 25 ou 30 ans, car c’est une manière de m’autocensurer. Je suis un écrivain pamphlétaire, alors je trouve intéressant de nourrir mes livres de certaines préoccupations, sans nécessairement prendre position sur le sujet", explique l’auteur de la biographie Wilfrid Derome, expert en homicide.
Preuve qu’il aime visiter le passé, Côté travaille en ce moment sur une nouvelle série policière qui se déroulera dans les années 1920. Il a aussi commencé à faire de la recherche pour écrire une biographie de la vie de George Villeneuve, un aliéniste judiciaire qui a été professeur de Wilfrid Derome et qui a dirigé la morgue de Montréal à la fin du XIXe siècle.
La Rive noire
de Jacques Côté
Éd. Alire, 2005, 384 p.