Heloneida Studart : Droit de parole
La Brésilienne Heloneida Studart consacre un nouveau roman, Les Huit Cahiers, au sort tragique réservé aux femmes de son Nordeste natal.
Chez les Nogueira de Alencar, ancienne famille de la noblesse terrienne, une coutume barbare oblige une fille de chaque génération à rester célibataire afin de soigner ses parents jusqu’à leur mort. Dernière à avoir accompli ce sacrifice, la septuagénaire Maria das Graças est retrouvée suicidée dans sa villa, léguant à sa nièce Mariana les huit carnets où elle a consigné les troublants secrets de sa famille. Parcourant les feuillets jaunis de sa tante, Mariana réalise qu’elle est la première de la dynastie à s’être dérobée au triste rôle qui lui était réservé. Ayant terminé ses études de droit et s’étant finalement mariée contre la volonté de sa mère, l’avocate de 40 ans, qui habite Rio de Janeiro, prend alors conscience de l’absence de justice authentique rendue aux femmes de son pays. Un propos qui n’est pas exclusif aux Huit Cahiers…
Dans Le Cantique de Meméia, son précédent roman traduit en français aux Allusifs, Heloneida Studart dénonçait déjà la soumission et l’aliénation dont étaient victimes les femmes du Nordeste, esclaves de traditions catholiques archaïques et imperméables aux percées démocratiques du Brésil moderne. Journaliste et féministe engagée, emprisonnée quelques mois en 1969 pour ses activités syndicales, Studart est davantage connue de ses compatriotes pour ses fonctions de députée dans le Parti travailliste du président Lula que pour son œuvre romanesque. Une œuvre qui coïncide pleinement, pourtant, avec son action militante pour les droits de la femme dans un pays – le plus grand et le plus populeux d’Amérique latine – où l’avortement n’est toujours pas légalisé. Avec son intrigue insolite, servie par une écriture lucide qui rejette les artifices du réalisme magique sud-américain, Les Huit Cahiers poursuit la réflexion tout en signalant d’autres problèmes sociaux (criminalité, pauvreté dans les favelas, corruption policière) et en exposant les paradoxes inhérents aux différents destins féminins.
Ainsi, parce qu’elles ont la possibilité de travailler, les ouvrières et les domestiques chez Studart apparaissent curieusement plus libres et indépendantes que les bourgeoises. De la même façon, les générations de vieilles filles Nogueira de Alencar imaginées par l’auteure ont davantage exprimé leur révolte au cours des siècles que leurs sœurs destinées au mariage, celles-ci étant soumises au despotisme de parents obsédés par leur virginité avant de passer sous la tutelle de maris soupçonneux et violents. Dans cette dynamique familiale qui incite à la méfiance dans les relations mère-fille (et parfois à la trahison entre sœurs) se dessine une intéressante lignée indirecte de célibataires, de tante à nièce, que révèlent les cahiers de Maria das Graças. Ce n’est pas pour rien que celle-ci, écrivaine par procuration, s’identifie particulièrement à une arrière-grand-tante condamnée par son curé pour avoir publié un livre. Considérée comme subversive par la presse de son pays, l’œuvre de Heloneida Studart nous rappelle ainsi que la cause féministe, loin d’être gagnée en Occident, dépend encore en partie de l’influence dérangeante de celles qui osent prendre la plume.
Les Huit Cahiers
de Heloneida Studart
Trad. par Paula Salnot et Inô Riou
Éd. Les Allusifs, 2005, 236 p.