Maxime-Olivier Moutier : Animal domestique
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Maxime-Olivier Moutier : Animal domestique

Maxime-Olivier Moutier est de retour avec Les trois modes de conservation des viandes, un roman-baume à appliquer d’urgence sur toutes les plaies mal cicatrisées de l’individualisme. Rencontre autour de ce livre étonnant qui introduit un discours renouvelé autour de l’engagement, de la vie conjugale et de la famille.

"Pour aimer, et cela, même les ordinateurs ne le savent pas, pour qu’un couple soit viable, il faut être trois: un homme, une femme et l’amour", écrivait Moutier dans un très beau texte intitulé Contribution aux nombreuses remarques faites sur l’amour, glissé vers la fin de Pour une éthique urbaine: essais: dernier écrit de jeunesse. On souhaitait qu’il nous revienne là-dessus; c’est désormais chose faite. Première entrevue de l’écrivain autour de son premier écrit de la maturité, soit l’histoire d’un gars qui ne se désengage pas.

Tu nous avais habitués à des avant-propos qui nous tenaient au courant de là où tu en étais rendu dans l’écriture. Cette fois-ci, ce n’est pas le cas… Que dirais-tu de faire ça live, en ce moment même?

"Mon rapport à l’écriture a beaucoup changé. Sérieusement, je consacre seulement cinq pour cent de mon temps à l’écriture, une demi-heure aux deux semaines. J’ai eu un nouveau bébé, mes problèmes, maintenant, ne concernent plus la littérature. Ça m’oblige à rendre ce désir-là très fort. J’ai un rapport à l’écriture où je l’évite le plus possible.

Avant, j’étais fébrile, il y avait une extase liée à l’écriture, et je me mettais dans cet état-là. Écrire ne m’exalte plus. Et je suis assez en accord avec ça. Je ne souffre pas de ne pas pouvoir écrire. Mais ça m’aide à vivre… Et en même temps, je trouve que l’écriture me détruit. "Est-ce qu’il faut souffrir pour écrire?", c’est une question que l’on m’a souvent posée. Moi j’estime qu’écrire fait souffrir. Après, je suis vidé, j’ai l’impression que chaque fois j’ai perdu des plumes. Remarque bien, tout ce que je viens de dire là, c’est peut-être un mécanisme de défense…"

Dans tes précédents bouquins, bien souvent, le désir d’écriture semblait lié à la crise, à des états de choc et de malaise, et à une certaine jouissance liée à leur analyse. Mais à la lecture de ce nouveau livre, on sent un apaisement, car le personnage, malgré ses inquiétudes et ses interrogations, semble confiant, voire reconnaissant.

"La crise est résorbée, mais ça vacille encore. La famille, la maison, le quotidien: je pense que ce choix-là est de plus en plus difficile à assumer pour tout le monde. Avoir une famille est devenu un défi extrême. Tout est contre toi. Ce n’est plus un symbolique qui existe dans le social. Ce n’est plus un papa, une maman, un enfant, la famille nucléaire. Les gens font des enfants et se quittent tout de suite après, parce que c’est insupportable de rester avec une femme ou un homme à long terme. Presque tout le monde autour de moi est séparé. Les gens se libèrent de ça pour retourner baiser au Bily Kun. Mais au nom d’une liberté, on devient esclave d’autre chose."

L’une des scènes les plus saisissantes, dans Les trois modes…, c’est quand le personnage descend dans sa cave, là où il se retrouve seul, et que devant le constat que les fondations de la maison s’effritent et l’inquiétude que cela fait naître en lui – qui doit assurer la sécurité de sa famille -, tout en mangeant les miettes de ciment délité, il lui vient le désir de concevoir un troisième enfant. Contre toute logique.

"Ce qui va manquer aux enfants qui n’ont pas connu la famille, c’est la capacité de faire des métaphores avec la vie, c’est-à-dire de créer une solution, de dire quelque chose, d’inventer un discours. Quand t’es capable de faire de la poésie dans la vie, tu t’en sors. Mon livre, c’est ça: le quotidien, j’en fais une fiction. Et ça, ça sauve la vie. Le post-humain, c’est quelqu’un qui ne sera plus capable de comprendre Dostoïevski, qui ne saisira plus la beauté des choses inexplicables."

Les trois modes de conservation des viandes
de Maxime-Olivier Moutier
Éd. Marchand de feuilles
2006, 263 p.