Louis Hamelin : Voleur de feu
Louis Hamelin nous revient après cinq ans d’absence avec Sauvages, un solide premier recueil de nouvelles. Rencontre avec l’homme qui a vu l’ours.
Depuis La Rage, son premier roman (Prix du Gouverneur général 1989), l’auteur du Soleil des gouffres et du Joueur de flûte ne cesse de préciser son importance dans le paysage littéraire québécois. Délaissant le roman pour la première fois, il nous livre un florilège d’histoires courtes d’une lumineuse densité. Mais pourquoi ce saut vers la nouvelle tout d’un coup? "J’étais en train de m’égarer dans un roman en construction et ça m’a permis de prendre congé de tout ça. Je sentais que ça pouvait être bon pour mon écriture, commence-t-il en s’allumant une cigarette. D’autant plus que, selon moi, la nouvelle est la seule forme littéraire capable d’exprimer ce que Joyce appelait les épiphanies, ces moments de grâce ou d’éclaircissement de la conscience" dont tous les protagonistes de Sauvages font l’expérience, pour le meilleur et pour le pire. "C’est un peu cliché, mais la nouvelle, dans ce sens-là, c’est un peu comme la permission d’aller à l’essentiel", résume-t-il en substance.
Poètes, écrivains, Amérindiens, survivants de la contre-culture ou des séismes de l’intime, les personnages du huitième ouvrage de fiction de Louis Hamelin évoluent tous en périphérie du statu quo. Difficile de ne pas déceler chez l’auteur une fascination pour ces êtres fauves. "Ces gens-là me paraissent plus intéressants pour la simple et bonne raison qu’ils sont imprévisibles, anarchiques, ils n’ont rien à perdre. En ce sens-là, je m’inscris dans une certaine tradition littéraire américaine où les marginaux ont leur place. De toute façon, je ne crois pas qu’on écrive pour célébrer l’ordre établi ou les "gagnants". Ils sont capables de le faire tout seuls."
Sauvages
de Louis Hamelin
Éd. du Boréal, 2006, 296 p.
SAUVAGES
On n’apprendra rien aux habitués de Louis Hamelin en avançant que son œuvre est une des plus américaines des lettres québécoises. Dans le ton, le traitement, la robustesse et la poésie incarnée de la prose, dans la manière de traquer le réel comme une bête tout en donnant la part belle à un imaginaire singulier, pétri d’une fixation pour les multiples vertiges de la condition humaine. Les dix nouvelles de Sauvages se présentent ainsi comme une mosaïque d’histoires où les personnages se retrouvent, chacun à leur manière, aux prises avec cette part indomptée de l’intérieur qui les fait dériver ou constater la déraison du hasard et de leurs illusions.
Taudis rue Ontario, réserves amérindiennes, bars de région, shacks perdus dans la brousse de la Belle Province: les personnages évoluent en périphérie du monde et donnent l’impression de rouler sur l’accotement de leur propre vie. Marginaux, perdants magnifiques, vers solitaires dans la pulpe de l’American dream, ils traînent tous leur petit boulet de misère tout en gardant le cap, les yeux fermés, vers un ailleurs improbable, plus clément, toujours prêts à lancer leur cœur dans un mirage, histoire d’exister un peu. En nous offrant cette suite de récits durs et tendres se répondant entre eux par le biais de correspondances habilement orchestrées, Hamelin confirme non seulement la puissance d’évocation de son écriture, mais la maturité de celle-ci, parfaitement calibrée pour mettre en scène la nostalgie et le désenchantement de ces grands farouches.