Bertrand Laverdure : L’art du roman
Bertrand Laverdure délaisse un temps la poésie pour tâter du roman, faisant le portrait d’un narrateur torturé, qui délaisse un temps la poésie pour… tâter du roman!
La gomme de xanthane est un additif utilisé dans le monde de l’alimentation qui favorise l’obtention de la texture visqueuse des vinaigrettes et autres produits industriels se retrouvant sur les tablettes de votre supermarché. N’espérez pas pour autant un roman anti-OGM ou pro-bio! Le premier roman de Bertrand Laverdure verse dans la "provocation subtile", et c’est plutôt le petit univers médiatico-culturel qui en fait les frais…
Le point de départ du livre: un éditeur commande à un jeune poète en vue de son écurie l’écriture d’un roman, seul genre littéraire permettant de quitter l’anonymat. Il lui donne trois mois pour livrer son manuscrit. "(…) les gens attendaient maintenant que je fasse le saut dans l’arène du roman, que je me mouille sérieusement au genre majeur qui fait et défait véritablement les réputations d’écrivains. Un bon poète est un demi-écrivain. Un romancier est un écrivain entier. J’avais donc le choix, à ses yeux, d’être con ou ambitieux."
Le narrateur accepte de relever le défi malgré les doutes qui l’habitent. S’entremêlent alors les réflexions du poète sur ses difficultés à devenir romancier, ses opinions sur le milieu littéraire et le statut de l’artiste, le récit de sa propre vie (remontant à des premières amours qui viennent mystérieusement refaire surface) et les extraits du roman qu’il écrit, dont la trame est glanée depuis un fait divers relatant l’histoire d’un violeur gérontophile.
On aurait aimé que Laverdure cède sans retenue à la tentation romanesque et qu’il nous en dise plus sur ce héros-là. Mais il met davantage l’accent sur son narrateur, ce poète déchiré par son pacte avec le diable du roman. Devra-t-il du même coup jeter en pâture son intégrité sur les plateaux de la vulgarité télévisuelle?
ON VEUT DES NOMS!
Entre la session de name-dropping et le règlement de comptes, le narrateur écorche donc tout ce qui a un minimum de notoriété médiatique dans le microcosme littéraire montréalais, de Nelly Arcan à Marie Laberge, en passant par Dany Laferrière et Sergio Kokis. Et le meilleur ami de ce narrateur anonyme, Michael D., écrivain reconnu, "invité à Bazzo", devra s’entêter à faire la leçon, la morale même, à notre apprenti romancier. "Fais attention. Si tu t’énerves avec tes principes, tu vas tomber dans une marginalité de centre communautaire. La marginalité sans compensation symbolique, je te le dis, tu vas trouver ça très très long… Si les recherchistes des émissions littéraires (des raretés) et tous les autres M’as-tu lu? te trouvent "rushant", tu vas ramer encore un bout dans les tavernes, mon ami!"
Pour ajouter à ce portrait incestueux du petit milieu du livre, on nous entraîne au Festival international de la poésie de Trois-Rivières où notre narrateur rencontre… Bertrand Laverdure, surnommé "Le verre dur". On se demande si ce roman saura intéresser quiconque ne barbote pas dans le vivier littéraire québécois, mais la clique va s’en délecter…
Gomme de xanthane
de Bertrand Laverdure
Éd. Triptyque
2006, 194 p.