Louis Hamelin : Voleur de feu
Louis Hamelin nous revient après cinq ans d’absence avec Sauvages, un solide premier recueil de nouvelles. Rencontre avec l’homme qui a vu l’ours.
Depuis La Rage, son premier roman (Prix du Gouverneur général 1989), l’auteur du Soleil des gouffres et du Joueur de flûte ne cesse de préciser son importance dans le paysage littéraire québécois. Délaissant le roman pour la première fois, il nous livre un florilège d’histoires courtes d’une lumineuse densité. Mais pourquoi ce saut vers la nouvelle tout d’un coup? "J’étais en train de m’égarer dans un roman en construction et ça m’a permis de prendre congé de tout ça. Je sentais que ça pouvait être bon pour mon écriture, commence-t-il en s’allumant une cigarette. D’autant plus que, selon moi, la nouvelle est la seule forme littéraire capable d’exprimer ce que Joyce appelait les épiphanies, ces moments de grâce ou d’éclaircissement de la conscience" dont tous les protagonistes de Sauvages font l’expérience, pour le meilleur et pour le pire. "C’est un peu cliché, mais la nouvelle, dans ce sens-là, c’est un peu comme la permission d’aller à l’essentiel", résume-t-il en substance.
Poètes, écrivains, Amérindiens, survivants de la contre-culture ou des séismes de l’intime, les personnages du huitième ouvrage de fiction de Louis Hamelin évoluent tous en périphérie du statu quo. Difficile de ne pas déceler chez l’auteur une fascination pour ces êtres fauves. "Ces gens-là me paraissent plus intéressants pour la simple et bonne raison qu’ils sont imprévisibles, anarchiques, ils n’ont rien à perdre. En ce sens-là, je m’inscris dans une certaine tradition littéraire américaine où les marginaux ont leur place. De toute façon, je ne crois pas qu’on écrive pour célébrer l’ordre établi ou les "gagnants". Ils sont capables de le faire tout seuls."
ÉNERGIE VITALE
Les tables se remplissent et les boules de billard claquent tandis que la conversation suit son cours dans le brouhaha d’un bar, au-dessus d’une pinte de blonde et d’un verre de blanc. Quelques textes de Sauvages prennent appui sur des confidences venues de l’extérieur ou sur des notes de terrain. Où se situe l’écrivain dans son rapport aux histoires du monde qui l’entoure? "Entre le don et la prédation. Parce qu’écrire, c’est devenir un prédateur textuel. Parfois aussi, les histoires te sont données, au gré des conversations. Les histoires que je vole ou que je capture, je les redonne à travers la fiction. Ça absout un peu la prédation. Mais au bout du compte, je me dis que les bonnes histoires sont faites pour être racontées, pour circuler."
Vers la fin de la rencontre, aussi réservé que généreux de sa personne, Louis Hamelin nous entraîne au coeur de l’essentiel: "Je ne connais pas d’écrivains qui ne vivent pas dans le conflit, dans le combat, dans le désir. Oui, le désir. Je pense que le mot désir résume presque tout. Au fond, ce que je recherche dans la littérature, c’est l’énergie vitale." Ce qui pourrait expliquer la présence de cette force brute et radiante qui grésille dans Sauvages et peut-être, également, le sentiment que l’on vient de s’entretenir avec un lointain descendant de Prométhée. Avec un voleur de feu.
Sauvages
de Louis Hamelin
Éd. du Boréal, 2006, 296 p.