Melissa P. : Parfum de scandale
Melissa P. signe un deuxième roman autobiographique, L’Odeur de ton souffle, porté par une sulfureuse réputation d’outre-Atlantique.
Phénomène littéraire du moment en Europe, l’Italienne Melissa P. n’avait que 17 ans en 2003 à la parution d’un premier roman, 100 coups de brosse avant d’aller dormir, qu’elle consacrait au détail de ses "expériences" érotiques comprenant le viol, l’homosexualité, des rapports sadomasochistes et une orgie avec six hommes le jour de son seizième anniversaire. Inspirée de son journal intime, cette oeuvre constituait un formidable coup médiatique au pays du Vatican. Objet d’horreur dans la Sicile conservatrice, l’auteure a même dû quitter sa ville natale de Catane où elle subissait le harcèlement de professeurs jaloux de son succès et où une foule de catholiques extrémistes aurait – semble-t-il – tenté de la lapider… Il n’en fallait pas davantage pour faire mousser les ventes du livre qui, maintenant traduit en une vingtaine de langues, a rejoint plus de deux millions de lecteurs (sans compter les spectateurs du film qu’en a tiré Luca Guadagnino, en tête du box-office italien depuis la fin de 2005).
Pour reprendre les termes dont un journaliste français coiffait sa critique du roman: "Catherine Millet peut aller se rhabiller." Or, les scandales littéraires – qui naissent de l’autofiction depuis un bon moment déjà – font parfois écran à l’appréciation de la valeur artistique des oeuvres. Étant donné la légende qui entoure l’auteure et son premier livre, le lecteur peut difficilement pénétrer (pardonnez le mauvais jeu de mots) totalement vierge dans le deuxième roman de Melissa P. Il faudra se munir d’une bonne dose d’objectivité pour faire fi de tout le discours qui accompagne L’Odeur de ton souffle, ainsi que des inévitables ingrédients "trash" qui s’y donnent rendez-vous avec une évidence déconcertante, la liberté sexuelle et les fantasmes d’automutilation côtoyant les piles de vaisselle sale, les divans percés par les brûlures de cigarettes et les serviettes hygiéniques souillées traînant sur le bord du lavabo. Une fois ces épreuves franchies avec succès, on se surprendra peut-être à toucher l’essence du livre…
Dans 100 coups de brosse, la vie sexuelle de la lycéenne était mue par un besoin d’être aimée qui lui faisait accepter toutes les humiliations. L’Odeur de ton souffle passe au stade existentiel suivant. Déménagée à Rome, "ville des églises et des lupanars", la jeune Melissa fait face à son récent succès littéraire tout en partageant sa vie avec Thomas. Croyant déceler de l’indifférence chez son amoureux, à qui elle imagine une liaison, elle sombre dans l’angoisse, la peur de l’abandon et les excès de la jalousie. À la pureté d’un premier amour succède aussi une forme de folie fabriquée et que révèlent des hallucinations, ces "fantômes" avec qui elle tente de faire la paix par le biais de l’écriture, pour se rendre finalement compte qu’elle est peut-être la seule responsable des infidélités de Thomas. Car l’extrême liberté de moeurs chez Melissa P. s’accompagne d’un enfermement dans les structures traditionnelles de la dépendance, de la soumission et du masochisme féminins, sans oublier le poids du fantasme maternel que symbolisent ici une grand-mère toute-puissante et une mère omniprésente, principale interlocutrice du roman.
On ne peut s’empêcher de comparer L’Odeur de ton souffle au deuxième roman de Nelly Arcan. Après Putain, il y avait également dans Folle la transformation un peu décevante d’une narratrice qui entretient dorénavant sa posture d’écrivaine à succès au coeur même du texte. Mal à l’aise dans ce rôle qu’on lui a imposé, Melissa P. se dit consciente d’être devenue une "caricature" d’elle-même, "faussement conforme aux événements". Pour ceux qui ont préféré la lycéenne et la putain à l’écrivaine, le véritable test devrait donc passer par un troisième roman. En attendant celui-ci, on se plaît quand même à se familiariser avec la clarté et la précision du style de Melissa P., bien rendues par la traduction de l’écrivain Philippe Poloni que nous offre Lanctôt. Une bénédiction pour les lecteurs fatigués par les traductions trop "made in France" qui masquent la culture d’origine des oeuvres étrangères.
L’Odeur de ton souffle
de Melissa P.
Lanctôt éditeur, 2006, 144 p.